Des travailleurs de la raffinerie Shell ont quitté le travail pour la dernière fois sous une pluie battante, hier. Et, malgré les appels à l'aide de leur syndicat, les espoirs qu'ils puissent retourner au boulot s'amenuisent.

Vers 16h, fin du quart de travail, les tours métalliques couvertes de lumières détonnaient dans le ciel gris. Les cheminées ne crachaient pas de fumée. Shell a cessé d'exploiter sa raffinerie en octobre, mais la date butoir du 30 novembre est arrivée. Plus de 300 de ses 350 employés syndiqués de Montréal-Est ont été licenciés hier.

«C'est désolant de voir ça, a confié un employé à la sortie de l'établissement. La plupart des gens ont quitté le travail en fin de matinée.»

Rencontré plus tôt dans la journée, Jean-Sébastien Gagnon, 32 ans, ne cachait pas son inquiétude. Ce père de deux garçons a travaillé pendant près de 8 ans chez Shell comme technicien en pétrochimie.

Puisqu'il ne reste qu'une raffinerie de pétrole à Montréal, il craint de ne pas pouvoir se trouver un autre boulot.

«Ça va être difficile de payer mon hypothèque et la nourriture pour tout le monde», a-t-il admis.

Le syndicat qui représente les travailleurs accuse la multinationale de s'être comportée en «voyou». La convention collective, échue depuis des mois, prévoit que les indemnités de départ pour les employés licenciés ne seront versées qu'au bout de trois mois.

Or, l'employeur refuse d'aller à la table de négociations pour discuter de nouvelles procédures de licenciement, dénonce Jean-Claude Rocheleau, président du syndicat. Pire, il a dû obtenir l'intervention de la Commission des relations de travail pour que Shell reconnaisse le syndicat malgré la fin des activités de raffinage.

«Shell a trahi ses employés», a-t-il dénoncé.

Le syndicat tente de convaincre la Cour d'appel de bloquer la fermeture de la raffinerie, mais celle-ci a refusé d'ordonner une injonction qui l'aurait suspendue lundi. M. Rocheleau espère qu'une intervention de Québec donnera aux travailleurs un répit le temps de trouver un acheteur.

Selon lui, la société israélienne Delek est toujours intéressée par l'acquisition de la raffinerie, mais la porte-parole de Shell le nie catégoriquement.

«Il n'y a pas d'acheteur, a affirmé Nicole Belval. C'est terrible, douloureux même, d'entendre ça. Delek a été une partie intéressée l'été dernier, mais on n'a pas donné suite à nos discussions.»

L'entreprise reconnaît que la journée d'hier a été «difficile» pour ses employés. Mme Belval affirme que les deux tiers des travailleurs touchés par les licenciements ont trouvé un emploi ailleurs dans l'entreprise.

Peu d'espoir à Québec

À l'Assemblée nationale, la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, n'a d'ailleurs guère donné d'espoirs aux employés de Shell. Une commission parlementaire qui s'est penchée sur l'avenir de l'usine doit remettre sous peu ses recommandations, des propositions qu'attend Mme Normandeau «avant d'annoncer ma décision d'autoriser ou non le démantèlement».

Mais même si le gouvernement bloque le démantèlement, il ne faut pas croire «qu'il y aurait systématiquement une relance des opérations de Shell», a souligné Mme Normandeau.

Pendant ce temps, le maire de Montréal-Est, Robert Coutu, prenait la mesure du défi qui attend son administration. Il estime que la perte de la raffinerie, établie sur son territoire depuis 77 ans, entraînera des pertes fiscales de 3 millions par année pour sa municipalité. C'est 15% de son budget annuel.

«C'est un grand impact, surtout si l'on considère l'effet domino de la fermeture, a-t-il indiqué. Je pense aux restaurateurs, à tous les entrepreneurs qui allaient là régulièrement.»

«Plusieurs indices nous montraient qu'il était possible que Shell ne vende pas la raffinerie, a convenu le porte-parole de la Ville de Montréal, Bernard Larin. Nous nous sommes préparés en conséquence de sorte à agir de façon responsable et prévoyante.»