Même si son principal marché, celui du papier journal, est en chute libre en Amérique du Nord, AbitibiBowater prévoit que les profits seront au rendez-vous dès l'an prochain et pour les trois années suivantes.

C'est dans les exportations et la diversification dans d'autres types de papier que l'entreprise pense trouver son salut. Parce qu'il reste une dernière étape à franchir devant un tribunal américain avant de sortir de la protection de la loi, les dirigeants d'AbitibiBowater n'ont pas voulu accorder d'entrevue officielle.

Dans le plan de restructuration soumis aux créanciers, l'entreprise prévoit que le papier journal continuera d'être sa principale activité. Des profits de 295 millions sont prévus dès 2011, et pour les trois années suivantes.

«La demande de papier journal est en baisse en Amérique du Nord, mais ailleurs dans le monde, elle croît encore», explique le porte-parole d'Abitibi, Pierre Choquette.

L'entreprise veut produire moins de papier journal et plus de papiers spécialisés, notamment dans l'emballage, à plus forte valeur ajoutée.

L'entreprise peut compter sur 1,35 milliard sous forme de d'emprunts garantis par ses actifs et sous forme de débentures pour financer ses premiers pas hors de la protection de la loi sur la faillite.

Le papier journal compte toujours pour près de 40% de sa production totale, que l'entreprise espère vendre dans de nouveaux marchés en Asie, en Amérique du Sud et en Europe de l'Est.

Au Québec, les usines de Baie-Comeau et de Clermont, situées près de ports en eau profonde, sont très bien placées pour desservir ces nouveaux marchés, estime l'entreprise.

En 2009, Abitibi vendait 55% de sa production de papier journal en Amérique du Nord et le reste, soit 45%, dans les autres pays du monde.

...mais pour combien de temps ?

On devrait savoir assez vite si Abitibi peut faire concurrence aux meilleurs producteurs de papier journal de la planète.

Ce ne sera pas facile, estime Luc Bouthillier, spécialiste de l'industrie et professeur à l'Université Laval. Le problème, selon lui, c'est qu'Abitibi n'a jamais été très présente sur ces marchés. «Les Scandinaves sont là depuis longtemps alors qu'Abitibi doit bâtir quelque chose à partir de rien».

Le marché du papier journal ne disparaîtra pas demain matin, estime pour sa part Pierre Vézina, directeur du Conseil québécois de l'industrie forestière. Les prévisionnistes les plus crédibles, dont ceux de RISI, la bible de l'industrie, prévoient que la demande arrêtera de baisser vers 2015, souligne-t-il.

Une fois ce plancher atteint, «il y aura de la place pour quelques joueurs, dit-il. Ceux qui auront les coûts de production les plus bas survivront».

Est-ce qu'AbitibiBowater, que son ancien président John Weaver a déjà comparée à un tank, peut maintenant faire partie de ces producteurs à bas coûts ? La question ne dépend pas seulement de l'entreprise, explique Pierre Vézina. Le coût de la fibre et le taux de change, entre autres, pèsent lourd dans le bilan d'un producteur de papier journal, souligne-t-il.

Le nouveau régime forestier du Québec, qui risque de faire grimper encore le coût de la fibre, ne facilitera certainement pas la tâche d'Abitibi, croit Pierre Vézina.

Même après sa cure d'amaigrissement, AbitibiBowater reste un des plus gros producteurs mondiaux de papier journal et le plus gros en Amérique du Nord. Il n'y a pas de quoi se vanter, selon Luc Bouthillier. «C'est comme être le plus gros producteur mondial de calèches, quand il ne s'en vend plus, ça sert à rien.»

L'entreprise doit absolument profiter des quelques années qui restent avant que le marché du papier journal disparaisse pour se reconvertir dans la production d'autres produits, estime le professeur. «Si elle ne le fait pas, AbitibiBowater est seulement en sursis.»

L'avenir des entreprises forestières est dans les nouvelles technologies et les papiers intelligents, pas dans les produits de base comme le papier journal, conclut le Conseil québécois de l'industrie forestière dans une étude publiée cette semaine.

Ces avenues nouvelles sont déjà explorées par des entreprises comme Cascades avec son papier essuie-main antibactérien et Domtar, qui investit dans la nanocellulose cristalline, un matériau qui pourrait lui ouvrir d'autres marchés, comme l'aérospatiale et l'automobile.

De plus en plus, l'avenir des entreprises forestières est dans la chimie. La meilleure chose qui aurait pu arriver à AbitibiBowater, c'est qu'une entreprise de produits chimiques s'y intéresse, croit d'ailleurs Luc Bouthillier, parce que ça aurait pu lui faire prendre un virage d'avenir.

«Ça prend des gens convaincus et convaincants parce que ce genre de virage coûte cher, dit-il. Il faut investir».

Les principaux actionnaires d'AbitibiBowater restructurée sont ceux qui ont racheté sa dette et l'ont empêché de faire faillite. Le professeur doute que firmes d'investissement ont la vision nécessaire pour entreprendre un virage, quel qu'il soit.

«Ce sont des gens qui sont dans la business de récupérer leur argent le plus rapidement possible, pas dans celle de transformer des entreprises.»

«On aime mieux croire que cette compagnie va passer au travers mais à moins que ses dirigeants aient un autre plan de match, ce drame va se rejouer dans quelques années, craint-il.

Si ça arrive, il s'en trouvera sûrement pour dire qu'on aurait dû laisser AbitibiBowater faire faillite en 2009.