«Le gouvernement canadien ne doit rien aux investisseurs.» Le ministre de l'Industrie Tony Clement ne peut pas encore expliquer aux Canadiens pourquoi il a rejeté l'offre de BHP Billiton pour PotashCorp mercredi, mais il a souligné aux investisseurs que les règles du jeu étaient claires: Ottawa a le dernier mot.

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Au lendemain de la décision d'Ottawa, BHP Billiton a réitéré hier son intention de discuter de nouveau avec le ministre et les fonctionnaires d'Investissement Canada. BHP a 30 jours (jusqu'au 3 décembre) pour bonifier sa proposition et convaincre le gouvernement fédéral que la prise de contrôle de PotashCorp constitue un «avantage net» pour le pays. «La société va revoir ses options», a précisé son porte-parole londonien Ruban Yogarajah.

Entre-temps, la loi prévoit que le ministre Clement doit rester muet sur les raisons du rejet de la première offre du géant australien. Mais il a offert de s'asseoir avec les représentants de BHP pour identifier quels aspects de l'offre l'empêchaient de passer le test de l'avantage net.

La partie n'est donc pas terminée, et un nouveau joueur pourrait s'y joindre. Le groupe russe Phosagro a confirmé hier son intérêt pour bâtir une offre d'achat pour PotashCorp. «Phosagro est en pourparlers intensifs avec le gouvernement russe et des banques russes et étrangères pour une éventuelle transaction, indique le groupe dans un communiqué. Phosagro compte annoncer ses intentions après le 15 novembre.»

Acquisitions

L'affaire PotashCorp continue par ailleurs d'alimenter les discussions sur l'attitude et le comportement canadiens par rapport aux acquisitions de sociétés canadiennes par des sociétés étrangères.

Certains estiment que la décision d'Ottawa nuira aux investisseurs canadiens à l'étranger. Le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia, ne s'en inquiète pas.

«Le Canada a (toujours) été un marché très ouvert et d'autres le sont beaucoup moins, a-t-il commenté en marge d'un discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Il est difficile pour moi de voir comment la décision d'Ottawa peut avoir un impact négatif pour les investisseurs canadiens dans d'autres marchés».

Beaucoup craignent aussi que le rejet de l'offre de BHP refroidisse les ardeurs des investisseurs étrangers. «Je dirais à tout investisseur que chaque investissement est basé sur des calculs, a dit le ministre Clement en entrevue à Bloomberg. Parfois ces calculs s'avèrent, parfois non. Le gouvernement ne doit rien aux investisseurs.»

Le débat est lancé

Pour limiter l'incertitude, le gouvernement pourrait d'emblée identifier des secteurs ou des entreprises névralgiques qu'il juge intouchables. Pas une bonne idée, estiment deux avocats consultés par La Presse Affaires.

Gérard Coulombe, aujourd'hui associé chez Lavery, a été impliqué dans l'élaboration de la loi sur Investissement Canada, entrée en vigueur en 1985. Il ne croit pas qu'il faille déterminer d'emblée les zones permises et les zones interdites. «Aucune transaction n'est identique, ce ne sont jamais les mêmes circonstances et chaque province a des intérêts différents. Ce n'est pas la clarté juridique par excellence, mais il y a tout de même une série de critères à respecter.»

«On se tirerait une balle dans le pied si on déterminait d'avance les secteurs d'application», estime l'avocat Michel Lebeuf, associé en financement corporatif chez Langlois Kronström Desjardins. On ne sait jamais quand l'intervention étrangère sera bienvenue, résume-t-il. Il cite Canadian Royalties, incapable de développer son projet de nickel au nord du Québec après la crise financière, et secourue par un groupe chinois.

François Barrière, vice-président aux marchés internationaux à la Banque Laurentienne, se réjouit de son côté que la décision d'Ottawa déclenche le débat sur les «grandes marques canadiennes». M. Barrière déplore leur disparition progressive au profit des grandes multinationales. BHP a réussi à devenir un géant en 10 ans, note M. Barrière, mais Falconbridge, Inco et Alcan auraient pu s'associer et former un géant eux aussi. «Ce seraient de beaux jobs et de beaux dividendes pour ici», dit-il.

François Barrière se demande d'ailleurs si le gouvernement pourra dire non à une société étrangère qui voudrait acheter le fabricant du BlackBerry, Research in Motion. Gérard Coulombe se fait rassurant: la loi prévoit que le gouvernement, dans le test de l'avantage net, examine l'effet d'un investissement sur le progrès technologique et la création de produits nouveaux.

Avec Hélène Baril, Bloomberg et AFP