L'ambition du géant australien BHP (BHP) de mettre la main sur la minière canadienne PotashCorp (T.POT), premier producteur mondial de fertilisants, est mise au défi comme jamais depuis trois mois.

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Potash a publié hier des résultats financiers qui, de l'avis d'analystes, démontrent l'insuffisance de l'offre de 38,6 milliardsUS mise sur la table par BHP en août dernier. Cette offre pourrait devoir être bonifiée de plusieurs milliards afin d'attirer un nombre suffisants d'actionnaires de Potash, estiment-ils.

À Ottawa, des rumeurs laissent qu'entendre que le gouvernement fédéral pourrait bloquer d'ici quelques jours la prise de contrôle de Potash.

En Bourse, il n'en fallait pas plus pour faire déraper hier les actions de Potash en dépit de résultats de troisième trimestre bien meilleurs qu'attendus.

Ses actions ont reculé de 3% pour terminer la séance à 146$ à la Bourse de Toronto et à 143,53$US à la Bourse de New York, où elles sont de loin les plus échangées.

Pourtant, Potash a confirmé hier qu'elle profitait du rebond du marché des denrées alimentaires de base, pour lequel la potasse est un fertilisant essentiel.

La minière de la Saskatchewan a annoncé une hausse de 62% de son bénéfice net à 402,7 millionsUS pour le trimestre terminé le 30 septembre.

À 1,32$US par action, ce bénéfice net s'avère le deuxième plus élevé de son histoire, pour un troisième trimestre. De plus, ce résultat surpasse de 14% le bénéfice trimestriel moyen attendu par les analystes.

Forts de ces résultats et de perspectives favorables à moyen terme, les dirigeants de Potash ont majoré de 12% leur cible de profit net pour l'exercice courant.

Pour 2011, ils ont aussi rehaussé leur cible de bénéfice à quelque 8,50$US par action, soit 8% de plus que la plus récente prévision moyenne des analystes.

«Nous devons revoir nos estimés pour 2011 afin qu'ils reflètent mieux la remontée continue du prix de la potasse sur les marchés», a admis Edwin Chee, analyste de l'industrie chimique chez Marchés des capitaux BMO, à Toronto.

Offre caduque?

Quant à l'offre de BHP, qui cote à 130$US l'action ou 38,6 milliardsUS en tout, sa pertinence continue de s'effriter face aux perspectives d'affaires favorables du meneur mondial de la potasse.

Des actionnaires importants de Potash, comme le gestionnaire de fonds Jarislowsky Fraser de Montréal, ont manifesté leur insatisfaction envers l'offre de BHP.

Selon Stephen Jarislowsky, l'offre est non seulement «nettement insuffisante», mais une mainmise étrangère sur Potash serait contraire aux intérêts économiques du Canada.

Du côté des analystes, «même si le gouvernement canadien l'autorise, BHP sera sous pression d'augmenter son offre», estime Mark Connellly, spécialiste des matières premières au bureau de New York de la financière française Crédit Agricole.

«En fait, à la lumière de ses derniers résultats, la valeur attribuée à Potash par les investisseurs s'est élevée considérablement depuis le dépôt de l'offre de BHP en août dernier.»

Autour de 142$US par action, la valeur courante de Potash à la Bourse de New York dépasse de 10% le montant offert par BHP.

Mais cette cote demeure aussi très inférieure au sommet de 239$US par action atteint à la fin juin 2008, lors du boom précédent des prix des matières premières.

Jusqu'à quel prix pourrait s'élever une offre de BHP, si elle obtient le feu vert d'Ottawa dans quelques jours?

Au moins 156$US par action ou quelque 46 milliardsUS en tout «si BHP demeure déterminée et sérieuse», anticipe Paul Galloway, analyste en matières premières chez Sanford Bernstein à Londres.

Pour sa part, l'analyste torontois Brian MacArthur, spécialiste des matières premières chez UBS, garde l'oeil sur un prix-cible de 170$US par action pour Potash à la Bourse de New York.

Si un tel prix-cible reflète les attentes des actionnaires de Potash, BHP pourrait devoir bonifier son offre aux environs de 50 milliardsUS pour les convaincre de lui céder leurs actions.

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CHRONOLOGIE D'UN BRAS DE FER

Août

12

BHP Billiton présente à la direction de PotashCorp une offre de près de 39 milliardsUS, environ 130$US l'action, pour l'achat de la société de Saskatoon. Cela représente à l'époque une prime d'environ 20% sur le cours de l'action.

17

«Nous avons unanimement conclu que le prix que vous proposez sous-évalue nettement PotashCorp et ses perspectives solides pour une croissance soutenue.»

Dallas Howe, président du conseil de PotashCorp

Devant ce rejet, BHP présente son offre directement aux actionnaires de PotashCorp.

23

PotashCorp soutient que d'autres joueurs importants du secteur minier l'ont sondée pour bâtir une offre concurrente.

Septembre

22

PotashCorp poursuit BHP, qu'elle accuse d'avoir fait des déclarations trompeuses sur ses intentions quant à ses éventuelles activités dans le secteur de la potasse.

Octobre

4

Dans un rapport commandé par le gouvernement de la Saskatchewan, le Conference Board estime que la transaction aurait peu d'effets négatifs pour la province.

15

La société d'État chinoise Sinochem abandonne l'idée de bâtir une offre supérieure à celle de BHP Billiton.

18

Le Globe and Mail rapporte que des régimes de retraite canadiens, menés par l'Alberta Investment Management Co., seraient intéressés à acquérir une part suffisante de PotashCorp pour bloquer les plans de BHP.

21

Le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, annonce qu'il s'oppose à la transaction, prétendant qu'elle n'apporte aucun avantage net ni à la province ni au pays.

BHP s'engage à dévoiler tout engagement additionnel qu'elle prendra pour qu'Ottawa donne son accord à la transaction. Elle soutient aussi qu'elle peut s'entendre avec la Saskatchewan, dont le gouvernement craint des pertes fiscales.

Novembre

3

Le ministre de l'Industrie doit déterminer si la transaction représente un "avantage net" pour le Canada, à défaut de quoi il a le pouvoir de bloquer la transaction.

4

La Cour fédérale américaine entendra la demande d'injonction de Potash, à la suite de la poursuite du 22 septembre.

18

Expiration de l'offre de BHP.

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LE MARCHÉ

La demande mondiale de fertilisants est en hausse relativement constante depuis le début des années 90. La demande a fortement reculé en 2009 après la crise mondiale, mais a repris depuis tout le terrain perdu. Avec l'appétit croissant des marchés émergents pour la viande (et donc pour le grain nécessaire à l'élevage), les perspectives sont clairement haussières.

La potasse est l'un des principaux éléments des fertilisants agricoles. Beaucoup moins utilisée que les produits à base de phosphore ou d'azote, elle affiche cependant la plus forte croissance de la consommation depuis 15 ans.

Près de 80% de la potasse fait l'objet d'un commerce international. Les plus importants importateurs de potasse sont, dans l'ordre, les États-Unis, le Brésil, l'Inde et la Chine.

PotashCorp anticipe pour 2011 un équilibre précaire entre l'offre et la demande.

Source: PotashCorp

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LES DEUX JOUEURS

PotashCorp

Fondée en 1975 en tant que société d'État de la Saskatchewan et lancée en Bourse en 1989, PotashCorp est le plus important producteur de fertilisants au monde.

Avec cinq mines en Saskatchewan et une au Nouveau-Brusnwick, elle possède 20% de la capacité mondiale de production de potasse. Elle offre aussi des produits à base de phosphore et d'azote.

Capitalisation boursière: 43,6 milliards

Revenus en 2009: 4,5 milliards

Nombre d'employés: 5100

Le siège social est à Saskatoon et les activités sont très largement basées au Canada, mais la majorité des dirigeants principaux, dont le chef de la direction, sont basés à Chicago.

Actionnaires qui ne sont pas du Canada: 51%

BHP Billiton

Géant minier australien actif notamment dans le charbon, l'or, le fer.

Capitalisation boursière: 221 milliards

Revenus: 55,8 milliards

Nombre d'employés: 41 000

BHP Billiton n'exploite encore aucune mine de potasse, mais elle commence à développer sa propriété Jansen, en Saskatchewan, qui pourrait potentiellement produire 8 millions de tonnes par année. L'entrée en production est prévue au plus tôt en 2017.

BHP cherche un moyen d'accélérer son entrée dans le marché de la potasse, qui fait partie de sa stratégie de diversification.