Satisfaite des garanties données par Shell, la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, affirme que la fermeture de la raffinerie de Montréal-Est et même une éventuelle démolition des installations ne mettront pas en péril la sécurité des approvisionnements en produits pétroliers au Québec. Cette affirmation a été contredite par le syndicat des travailleurs et un expert invité en commission parlementaire.

Ils ont demandé au gouvernement de ne pas accorder à Shell un permis de démolition de ses installations. Mais Mme Normandeau ne leur a laissé à peu près aucun espoir.

Réunis en commission parlementaire hier, les députés se sont penchés sur l'impact de la fermeture de la raffinerie sur la sécurité des approvisionnements en produits pétroliers. Les dirigeants de Shell convoqués pour l'occasion ont fait face à un barrage de questions des élus, qui ont mis en doute sa volonté réelle de vendre les installations.

Nathalie Normandeau a plaidé que «la fermeture de la raffinerie de Shell n'hypothéquera pas la sécurité de nos approvisionnements». Certes, cette fermeture aura un «impact sur la capacité de raffinage» du Québec; Shell représente 25% de cette capacité. Mais les deux autres raffineurs du Québec, Suncor et Ultramar, augmenteront leur production, selon elle. «Shell va remplacer tout ce qu'il raffinait ici par l'importation. Donc il n'y aura pas de bris dans nos approvisionnements», a ajouté Mme Normandeau.

Shell a confirmé: «Au lieu de raffiner ici, on va importer les produits pétroliers», grâce à l'aménagement d'un terminal, a dit le directeur général de la raffinerie, Christian Houle.

L'économiste et président de la firme E&B Data, Jean Matuszewski, a contredit les affirmations de la ministre Normandeau. Le démantèlement «doit être stoppé dans l'intérêt général du Québec», a-t-il affirmé. «C'est la capacité locale de raffinage qui donne à un pays une réelle sécurité sur le plan de l'approvisionnement.» Or en étant plus dépendant de l'importation, le Québec fait face à «des risques d'interruption, des prix plus élevés ou les deux».

Selon lui, la fermeture de la raffinerie «met sérieusement à risque à moyen terme la raffinerie de Suncor». Cette entreprise devra absorber, à partir de 2015, la totalité des frais d'entretien du pipeline Montréal-Portland. Mais selon Mme Normandeau, «les gens de Suncor ont été rassurants sur la poursuite de leurs activités».

Pour Jean Matuszewski, le gouvernement doit empêcher la démolition de la raffinerie en ayant recours aux dispositions de la Loi sur les produits pétroliers. Celle-ci stipule que «nul ne peut démolir en tout en partie un établissement de fabrication de produits pétroliers sans l'autorisation préalable du ministre».

Le syndicat des quelque 500 travailleurs de Shell a demandé lui aussi au gouvernement de ne pas délivrer de permis. Les installations doivent être «mises en cocon urgemment avant le gel en prévision d'un éventuel redémarrage», a dit son président Jean-Claude Rocheleau. Selon lui, à défaut de pouvoir démolir, «les chances sont que Shell décidera de vendre et que des acheteurs intéressés seront au rendez-vous».

Nathalie Normandeau a précisé à La Presse que la démolition des installations ne mettrait pas en péril non plus la sécurité des approvisionnements. Répondre à la demande du syndicat, «ça implique de la part de Shell un minimum d'entretien, et ils n'ont pas l'air d'avoir beaucoup d'intérêt». Christian Houle a en effet indiqué qu'à défaut d'obtenir un permis, les installations seront «laissées sur place comme elles sont là» et se détérioreront. Shell a fait une demande de permis parce que le ministère de l'Environnement lui a exigé de décontaminer les sols sous les installations, ce qui implique leur démantèlement, a-t-il expliqué.

Aux représentants de Shell, la ministre Normandeau a affirmé que bien des Québécois ont des doutes sur les efforts déployés par l'entreprise pour vendre la raffinerie. La députée péquiste Nicole Léger a renchéri: «On se sent floué, berné, dévalisé. On demeure convaincu que vous auriez pu vendre.» Shell a «abandonné le Québec», a-t-elle ajouté.

Christian Houle a rétorqué que «huit ou neuf compagnies ont montré un intérêt» pour acheter la raffinerie, «mais malheureusement on n'a reçu aucune offre formelle». Un acheteur devait mettre sur la table «600 millions de dollars pour investir dans la raffinerie, 400 millions pour les inventaires», en plus de «battre la valeur que nous on donne au terminal, une donnée qui est confidentielle. Donc, on est rendu dans des milliards de dollars pour qu'une transaction ait lieu», a-t-il expliqué aux journalistes. L'ingénieur financier du comité de relance de la raffinerie, Claude Delage, de la firme IBS Capital, a affirmé que «Shell ne voulait pas vendre et n'en a jamais eu l'intention».