«Tir de sommation», «déclaration de guerre»: le ton est devenu belliqueux vendredi dans le débat sur la taxation de l'énergie nucléaire en Allemagne, après la divulgation d'une lettre vindicative d'une quarantaine de patrons.

Johannes Teyssen, patron du numéro un allemand de l'énergie EON, Jürgen Grossmann, qui dirige le numéro deux RWE, Josef Ackermann, chef de la première banque allemande Deutsche Bank, Rüdiger Grube, patron des chemins de fer, Jürgen Hambrecht, patron du géant de la chimie BASF... La liste des signataires de cet «appel» qui doit paraître samedi en pleine page dans la presse, et dont l'AFP a eu copie, ressemble au Who's who de l'économie allemande.

S'y trouve même la signature d'Oliver Bierhoff, le manageur de l'équipe d'Allemagne de football, dont le père a fait partie des dirigeants de RWE.

Ce texte, adressé aux «responsables politiques» allemands mais dont la vraie destinataire est la chancelière Angela Merkel, en appelle «au courage et au réalisme pour le futur énergétique».

Il s'agit en réalité d'un plaidoyer pour l'énergie nucléaire, que le gouvernement Merkel a l'intention de taxer lourdement.

«Une politique qui consiste à renflouer le budget en créant de nouveaux impôts sur l'énergie revient à bloquer les investissements importants pour le futur», écrivent les dirigeants.

«Une sortie précipitée du nucléaire détruirait des milliards d'euros de capital», met en garde le texte. «Pour que les prix (de l'énergie) restent accessibles à tous, nous ne pouvons pas renoncer pour l'instant au charbon ni à l'énergie nucléaire», insistent-ils.

Et de conclure: «Il en va de la préservation des conditions de vie de demain et de la compétitivité économique de l'Allemagne», dont l'économie doit beaucoup à des industries lourdes gourmandes en électricité.

«Il s'agit d'un tir de sommation adressé au gouvernement», décrypte un haut dirigeant, cité de manière anonyme par le quotidien Handelsblatt, qui avait le premier divulgué le texte.

Les signataires «provoquent la société en duel», s'est indigné Ulrich Kelber, numéro deux du groupe de l'opposition social-démocrate au Bundestag, la chambre des députés, auprès de la même source.

Le gouvernement allemand compte à partir de 2011 sur une recette fiscale annuelle de 2,3 milliards d'euros, tirée d'une taxe sur l'énergie nucléaire.

Ce projet se veut une compensation de l'allongement de la durée de vie des réacteurs allemands, promis par Mme Merkel après sa réélection à l'automne dernier.

Il suscite l'indignation des quatre multinationales de l'énergie en Allemagne: EON, RWE, EnBW (dont le français EDF est grand actionnaire) et Vattenfall. Ces entreprises ne veulent pas entendre parler d'un impôt qui serait basé sur leur consommation de combustible nucléaire, mais préfèreraient alimenter un fonds pour les énergies renouvelables.

«Tout cela ne reste pas ignoré et enrichit la réflexion de la chancelière», a réagi vendredi Steffen Seibert, porte-parole d'Angela Merkel.

«Les discussions se passent dans une atmosphère meilleure que ne semble l'indiquer la lettre ouverte» des entreprises, a-t-il assuré.

«Pour l'instant, nous partons du principe qu'il y aura une taxe, mais nous verrons le 1er septembre (ndlr: en conseil des ministres) s'il y a lieu de continuer à négocier sur une solution alternative», a encore dit M. Seibert.

Du côté de la fédération BEE des énergies renouvelables, le ton est plus catégorique.

Les signataires de l'appel sont «les acharnés habituels de l'énergie nucléaire», a déclaré son porte-parole Ronald Heinemann à l'AFP.

«Les énergies renouvelables et l'atome ne vont pas ensemble», a pour sa part assuré le président du BEE Dietmar Schütz, cité dans un communiqué.

Les partisans du nucléaire font au contraire valoir que les réacteurs sont indispensables pour compenser les fluctuations très fortes de production des éoliennes et panneaux solaires.