Un nouveau modèle de propriété agricole prend de l'ampleur au Canada.

Le monde agricole s'apprête à vivre une petite révolution au Canada. Cette révolution pourrait permettre à des agriculteurs au pays d'augmenter leur production pour répondre à une demande mondiale croissante en nourriture sans crouler sous les dettes.Elle pourrait également permettre de conserver les plus belles terres agricoles, qui font déjà l'objet d'une certaine convoitise de la part de gens d'affaires étrangers, notamment des Américains, entre les mains d'investisseurs canadiens.

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L'entreprise Bonnefield Canadian Farmland, d'Ottawa, a commencé à jeter les bases de cette révolution en Saskatchewan, au Manitoba et en Ontario. Et elle compte le faire aussi sous peu au Nouveau-Brunswick et au Québec.

Le concept est simple: depuis l'an dernier, Bonnefield achète des terres arables d'agriculteurs qui souhaitent utiliser ce capital qui dort soit pour réduire leur endettement, acheter de nouveaux équipements ou encore prendre de l'expansion. Bonnefield loue ensuite ces terres aux mêmes agriculteurs ou à d'autres pour une durée d'au moins cinq ans.

Ce concept est déjà bien établi dans certains pays d'Europe et gagne en popularité aux États-Unis. Mais au Canada, l'idée commence à peine à faire son chemin. Les firmes Agcapita Partners LP de Calgary et Assiniboia Capital Corp de Regina ont investi dans les terres agricoles pour les louer à des agriculteurs au cours des cinq dernières années. Mais leurs intérêts se limitent essentiellement à la Saskatchewan.

Les dirigeants de Bonnefield, eux, ont décidé de se lancer dans cette aventure à l'échelle nationale après avoir analysé les conditions du marché pendant deux ans.

«Notre objectif est de faire en sorte que les terres agricoles demeurent entre les mains des agriculteurs canadiens. C'est un principe fondamental. Nous ne voulons pas acheter des terres agricoles pour ensuite y construire un Wal-Mart. Les terres que nous recherchons sont des terres arables qui sont loin des centres urbains», affirme Jean-Jean Vanasse, le vice-président aux finances de Bonnefield.

Bonnefield Canadian Farmland, qui appartient à la société d'investissement Colonnade, a vu le jour en 2008 et a déjà acquis 3000 acres de terres en Saskatchewan et en Ontario et doit faire de nouvelles acquisitions au Manitoba cette semaine. L'entreprise lorgne aussi des terres au Québec et au Nouveau-Brunswick. D'ici au 31 décembre 2011, l'objectif est de bâtir un fonds d'investissement de 100 millions de dollars pour acheter des terres au pays.

En entrevue, M. Vanasse a expliqué que Bonnefield fait le bilan historique de l'utilisation des terres avant de les acheter et s'assure qu'un agriculteur «qui a le feu dans les tripes» est prêt à les louer avant de conclure la transaction.

Bonnefield compte parmi ses dirigeants un agrologiste d'expérience, Erik Apedaile, qui se rend sur les lieux pour évaluer la qualité des terres. Un autre des dirigeants, Wally Johnston, est un ancien agriculteur de Carp, dans la région d'Ottawa.

«Les jeunes agriculteurs aujourd'hui ont souvent besoin de plus de terres pour que leur entreprise soit rentable. Mais c'est souvent impossible d'acheter de nouvelles terres et en même temps de payer l'équipement agricole qui est très dispendieux. Ils ne peuvent maximiser l'utilisation de cet équipement parce qu'ils n'ont pas accès à d'autres terres», a expliqué M. Vanasse.

«En achetant des terres et en les louant à ces jeunes agriculteurs, ils peuvent par exemple doubler leur production s'ils le désirent sans être endettés jusqu'au cou. C'est le mariage que l'on recherche et cela se fait souvent par du bouche à oreille entre agriculteurs», a-t-il ajouté.

Avant de lancer Bonnefield Canadian Farmland, la société Colonnade avait mis à l'épreuve ce concept «révolutionnaire» au pays par l'entremise d'une autre entreprise, Gazon Manderley, qu'elle a acquise en 2005 alors qu'elle était au bord de la faillite.

«Après avoir restructuré l'entreprise Manderley, on s'est rendu compte que ce n'était pas impératif d'être propriétaire des terres pour faire la récolte de la tourbe. L'important c'était d'avoir accès à des terres pour une durée qui minimisait le risque de la récolte et maximisait le potentiel de croissance de l'entreprise», a expliqué M. Vanasse.

«Après un examen, on a conclu que c'était étouffant d'avoir des actifs qui pesaient lourd sur le bilan financier et qui n'étaient pas nécessaire de posséder. On s'est dit que la meilleure option était de louer des terres. Le concept est né comme cela. Et si ce concept peut s'appliquer à notre entreprise, on s'est dit pourquoi ne pas le faire pour les entreprises agricoles», a-t-il ajouté.

Aujourd'hui, Gazon Manderley est l'un des producteurs de gazon les plus importants en Amérique du Nord avec des revenus annuels de près de 17 millions de dollars. L'entreprise exploite 7500 acres de terre agricole en Alberta et en Ontario. Elle loue plus de la moitié de ces terres (4500 acres de terre).

Selon les plus récentes données du recensement de l'agriculture mené par Statistique Canada (2006), 35,4% des terres arables sont louées au pays, une hausse par rapport à 32,2% en 2001. En outre, l'âge moyen des exploitants agricoles continue d'augmenter. Il est passé de 49,9 ans en 2001 à 52 ans en 2006.

Toujours selon Statistique Canada, le nombre de fermes est en baisse constante au pays depuis 1941. Entre 2001 et 2005, le nombre de fermes a diminué de 7,1% au Canada, passant de 246 923 fermes à 229 373.

Pour que son entreprise demeure viable, un agriculteur doit s'en tenir à un marché précis ou maintenir une exploitation à grande échelle qui nécessite souvent d'importantes dépenses en immobilisations.

Cette semaine, George Brinkman, ancien directeur du département de l'alimentation et de l'agriculture de l'Université de Guelph et spécialiste de la viabilité des entreprises agricoles, a affirmé que certains agriculteurs pourraient vivres des jours difficiles d'ici trois à cinq ans à cause de la hausse inévitable des taux d'intérêt. Il a soutenu que ces derniers doivent dès maintenant prendre «des mesures pour gérer leur dette, accroître leur productivité et rééquilibrer leur rapport dette-revenu».