Fabriquer de l'essence à partir de vieux souliers, de sofas défoncés et d'autres déchets de tout acabit? C'est ce qu'Enerkem va bientôt faire à grande échelle en Alberta et au Mississippi. Mais l'entreprise montréalaise veut aussi devenir maître chez elle en raflant son premier vrai contrat... au Québec.

«On aimerait faire un projet au Québec. On travaille dans la direction d'une annonce, on l'espère, vers l'automne», a révélé hier à La Presse Affaires Vincent Chornet, président et chef de la direction d'Enerkem, qui dit être en discussion avec le gouvernement québécois depuis «plusieurs mois».

Poussée de croissance

Après avoir progressé de façon prudente pendant 10 ans, Enerkem dit maintenant être prête à appuyer sur l'accélérateur. L'entreprise a mis au point une technologie qui permet de fabriquer de l'éthanol à partir de déchets domestiques. Plastique non recyclable, copeaux de bois, vieux meubles, alouette: à peu près tout peut lui servir de matière première.

Enerkem a commencé en implantant une usine-pilote à Sherbrooke. Pour montrer qu'elle peut produire à grande échelle, elle a ensuite construit une usine de plus grande taille à Westbury, dans les Cantons-de-l'Est.

C'est toutefois de l'extérieur du Québec que les commandes d'usines véritablement axées vers la production commerciale sont venues.

En décembre, la boîte de 75 employés a raflé 50 millions du département américain de l'Énergie pour installer une usine de biocarburants au Mississippi. Un an auparavant, la ville d'Edmonton lui avait commandé une usine similaire capable de produire 40 millions de litres d'éthanol par année.

L'avantage d'Enerkem est qu'elle peut tirer des revenus de deux sources. Elle vend son éthanol aux grands raffineurs, mais est aussi payée pour sa matière première, puisqu'elle débarrasse les villes de ses déchets.

Selon Vincent Chornet, il est clair qu'il y a de la place pour Enerkem au Québec. Il rappelle qu'à partir de l'automne, le fédéral exigera que l'essence vendue au pays contienne au moins 5% d'éthanol; l'objectif figure aussi dans la Stratégie énergétique du gouvernement québécois.

M. Chornet estime que ces mesures créeront une demande de 450 millions de litres d'éthanol par année dans la province.

«Or, il n'y a qu'une usine d'éthanol au Québec, celle de Varennes, qui en fait 150 millions avec du maïs-grain. Il manque donc 300 millions de litres au Québec», estime M. Chornet.

Le gouvernement québécois a de plus cessé de subventionner la production d'éthanol à partir de maïs pour soutenir celui produit à partir de déchets, qu'ils soient forestiers ou autres. Enerkem a frappé un grand coup en février dernier en récoltant 53,8 millions auprès de cinq investisseurs, dont les fonds de capital-risque québécois BDR Capital et Cycle Capital.

Selon Réseau Capital, l'association du capital-risque québécois, il s'agit de la plus grosse transaction jamais divulguée dans les technologies propres au Québec.

La transaction a d'ailleurs hissé le secteur des technologies propres au premier rang pour la somme de capital-risque récoltée au premier trimestre de 2010, devançant les technologies de l'information et les sciences de la vie pour la première fois.

Aux États-Unis, le secteur des technologies propres est celui qui attire le plus de capital-risque depuis 2009. «Est-ce que c'est une tendance? Je ne sais pas. Essayer de faire des prédictions sur un seul trimestre, ça ne vaut pas grand-chose. Mais ce qu'on peut dire, c'est que le Québec et le Canada ne devraient pas être différents de ce qui se passe ailleurs en Amérique du Nord», commente François Chaurette, coprésident de Réseau Capital.