À la demande du gouvernement, Hydro-Québec s'est lancée dans un programme d'expansion de 25 milliards de dollars qui augmentera considérablement sa capacité d'exportation.

Tous ces kilowattheures supplémentaires devront trouver des acheteurs et un prix assez intéressant pour que le Québec y trouve son compte.

Le prix de vente devra notamment couvrir le coût des emprunts nécessaires à la réalisation de ces projets. Comme Hydro verse les trois quarts de ses profits annuels au gouvernement, elle doit emprunter sur les marchés pour financer cette expansion.

En 2009, la société d'État a emprunté 4,2 milliards, le double de l'année précédente. Des emprunts de 3 à 4 milliards par année sont prévus pour les cinq prochaines années, dans un contexte de taux d'intérêt à la hausse.

Étant donné les coûts de financement, les nouveaux kilowattheures comme ceux qui seront produits à la Romaine coûtent autour de 10 cents à Hydro.

Il sera très difficile au cours des prochaines années de trouver dans le nord-est des États-Unis des acheteurs prêts à payer 10 cents pour l'électricité du Québec, estime Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval et spécialiste en énergie.

«On s'éloigne d'une certaine prudence élémentaire en développant aujourd'hui de l'énergie dont le Québec n'aura pas besoin avant au moins 10 ans», explique-t-il au cours d'un entretien avec La Presse Affaires.

Discours «jovialiste»

Il qualifie de «jovialiste» le discours du gouvernement et de la direction d'Hydro-Québec qui assurent qu'il y aura des acheteurs pour cette énorme quantité d'énergie supplémentaire.

Le problème, selon lui, c'est que le marché américain ne paiera pas un prix suffisant pour rentabiliser les milliards investis par Hydro pour augmenter sa capacité de production.

La théorie économique de base veut que le prix de vente d'un produit soit supérieur à celui qu'il coûte à produire, si on veut faire de l'argent. Dans le nord-est des États-Unis, l'électricité se vend actuellement autour de 5 cents le kilowattheure.

Lors de l'annonce du renouvellement du contrat d'exportation avec le Vermont, le premier ministre Jean Charest a indiqué qu'Hydro-Québec recevra l'équivalent du prix médian du marché de la Nouvelle-Angleterre pendant les 26 années de ce contrat.

En utilisant ces informations préliminaires, le professeur Bernard avait estimé que le prix de vente au kilowattheure serait donc de 4,5 cents, soit bien loin des 10 cents que coûtent à Hydro les nouveaux kilowattheures qu'elle met sur le marché.

Hydro a rétorqué que le prix de vente sera plus élevé que 4,5 cents, plutôt de l'ordre de 6 ou 7 cents, ce qui correspondra au prix du marché lors du début des livraisons au Vermont, en 2012.

Hydro-Québec mise donc sur une augmentation des prix d'ici deux ans, ce qui est possible, mais peu probable, estime le professeur. «La probabilité que ce prix de marché augmente est très, très faible», dit-il.

Le prix de l'électricité dans le nord-est des États-Unis est lié à celui du gaz naturel, qui est très bas actuellement et qui a toutes les chances de le rester en raison de l'exploitation croissante des gaz de schiste, qui augmente la quantité de gaz disponible sur le marché.

Mais qu'il soit à 7 cents ou à 4,5 cents, le prix de l'électricité exportée reste inférieur aux 10 cents qu'elle coûte à produire, souligne Jean-Thomas Bernard. «Ça n'est pas rentable de développer des projets pour l'exportation», conclut-il.

Selon lui, c'est comme si les Québécois subventionnaient les acheteurs du Vermont en payant eux-mêmes une partie de l'électricité qu'ils leur vendront pendant 26 ans.

Une rentabilité relative

En 2009, Hydro-Québec a obtenu un prix moyen de 6,8 cents par kilowattheure exporté. Ce prix lui permet de dire que ses exportations sont rentables, parce que son coût moyen de production est très bas, soit autour de 2 cents le kilowattheure produit par ses anciennes centrales.

N'importe quel prix de vente supérieur à 3 ou 4 cents peut donc être considéré comme un profit net, sur la base du coût moyen de production. Mais aucune entreprise privée ne vendrait sa production au coût moyen, à moins de vouloir s'appauvrir plutôt que s'enrichir.

Jean-Thomas Bernard n'est pas contre les exportations, à condition d'obtenir un juste prix. «Le problème, c'est que personne ne se présente pour signer des contrats à 10 cents le kilowattheure», dit-il.

Le professeur ne croit pas non plus que le Québec soit gagnant en développant immédiatement des projets hydroélectriques dont il aura besoin un jour et qui auront été payés par les exportations.

«Les exportations à un prix inférieur au coût marginal peuvent payer seulement une partie du coût de ces nouvelles centrales, explique-t-il. Le reste sera payé par les Québécois et profitera au Vermont ou aux autres acheteurs.»

Hydro-Québec prévoit des surplus d'électricité au Québec au moins jusqu'en 2020. Des projets totalisant 4500 mégawatts sont ou seront en construction au cours des cinq prochaines années.

 

HYDRO QUÉBEC

Dette actuelle: 37, 1 milliards

Taux d'intérêt moyen: 6,56%

Frais d'intérêt annuels : 2,5 milliards