La pétrochimie montréalaise subit un très dur coup avec l'annonce par Produits Shell Canada d'abandonner ses activités de raffinage dans l'est de l'île d'ici la fin de l'année.

Plusieurs centaines d'employés seront licenciés au cours des prochains mois, à mesure que l'usine sera transformée en un terminal de stockage d'essences et de carburants. Des fournisseurs seront aussi touchés.

Réagissez sur le blogue de Sophie Cousineau

L'annonce a été faite hier après-midi aux employés en même temps que Calgary publiait un communiqué laconique; «Shell a conclu que sa raffinerie, entrée en service il y a 75 ans, ne figurait plus dans sa stratégie à long terme», y lit-on.

On y transforme 130 000 barils de brut par jour en essence et autres distillats, soit autant que sa voisine Petro-Canada qui se retrouve fragilisée.

Celle d'Ultramar à Saint-Romuald, la seconde au pays derrière Irving au Nouveau-Brunswick, a une capacité de 265 000 barils.

C'est le directeur général de l'usine, Christan Houle, à qui a incombé la tâche d'informer le personnel. «Tout sera fait pour minimiser les effets de cette décision qui survient après un examen de la situation amorcé en juillet», explique-t-il en entrevue.

Seules 30 personnes conserveront leur emploi, une fois terminé le processus de fermeture de la raffinerie; 127 des 550 employés seront admissibles à une mise à la retraite. «Pour les autres, on va travailler à la relocalisation», indique M. Houle, sans plus de précision. Shell exploite au Canada des usines à Sarnia, à Edmonton et près de Fort MacMurry.

M. Houle a refusé d'indiquer où le terminal montréalais s'approvisionnera, prétextant des raisons stratégiques.

«En plus des 550 employés, il y a au moins de 300 sous-traitants qui travaillent ici quotidiennement, parfois jusqu'à 1000 lors des périodes de pointe, fait valoir un ingénieur de Shell rencontré à la raffinerie. Inutile de dire comment cette fermeture aura des conséquences dramatiques sur des centaines et des centaines de familles...»

Jean-Claude Rocheleau, président de la section 121 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP) qui représente 350 des quelque 550 employés de l'usine, presse les gouvernements de tout faire pour empêcher la fermeture. Shell n'a pas trouvé preneur.

Cette fermeture créera énormément de pressions sur l'autre raffinerie de Montréal, exploitée par Suncor, qui a absorbé Petro-Canada l'an dernier.

Shell et Suncor partagent l'exploitation de l'oléoduc reliant le port de Portland au Maine jusqu'à Montréal. Ses coûts seront désormais assumés seulement par Suncor. «Si j'enlève mon pétrole du pipeline, il va y avoir probablement des impacts pour l'autre raffinerie», reconnaît M. Houle. En clair, le coût de transport du brut doublera pour Suncor.

Shell et Suncor sous-traitent aussi à Marsulex la récupération du soufre émis par le raffinage. Cette usine, agrandie en 2006, est située entre les deux raffineries montréalaises.

Malgré plusieurs tentatives, Suncor n'a pas rappelé La Presse.

En septembre, elle avait annoncé l'abandon d'un projet d'expansion évalué à 1,5 milliard de dollars.

«La raffinerie de Montréal est rentable, mais Shell vise des installations de 600 000 barils par jour comme celle à Port Arthur, au Texas», soutient M. Rocheleau.

Il voit là les effets d'une politique énergétique qui consiste à construire des oléoducs vers les grandes raffineries américaines qui approvisionnent ensuite le Canada en carburants.

Selon lui, la transformation de l'usine en terminal signifie à terme sa disparition. En 1983, rappelle-t-il, Esso avait fait de même, avant de cesser quelques années après ses activités autres que l'exploitation d'un réseau de stations-services.

«Ça ne veut pas dire que c'est une décision finale», renchérit Louis Forget, directeur principal, affaires gouvernementales et publiques, chez Ultramar. À ses yeux, même le réseau de distribution pourrait changer de mains ou être morcelé.

Le phénomène n'est pas propre à Shell. La plupart des pétrolières préfèrent se concentrer sur l'exploration et l'extraction de brut où se réalisent 80% des profits de l'industrie depuis quelques années.

La raffinerie Shell est la seconde à fermer au Canada en quelques années. Petro-Canada avait fermé ses installations d'Oakville, en Ontario, alléguant la petite taille de l'usine. Celles de Shell et de Suncor à Montréal sont à peine plus grosses.

Au début des années 80, Montréal avait perdu quatre de ses six raffineries avec les fermetures de BP, Esso, Gulf et Texaco.

«Ce n'est pas surprenant que l'activité de raffinage diminue à Montréal, estime Michael Ervin, vice-président de Kent Marketing Services, firme ontarienne spécialisée dans le secteur énergétique. La ville est bien située pour être approvisionnée de l'est et de l'ouest grâce au Saint-Laurent.»

Il s'attend à d'autres fermetures en Amérique du Nord, mais refuse de prédire le sort de la dernière raffinerie de Montréal.