Les malheurs de l'industrie québécoise qui vit de la forêt se sont poursuivis en 2009. Mais ils sont de plus en plus nombreux à lui prédire une sortie en beauté de la crise. Sauf que ce ne sont pas tous qui en profiteront. Et que cela ne se produira pas nécessairement en 2010.

L'année qui se termine a continué d'être une longue succession de mauvaises annonces. La série noire a commencé il y a cinq ans.

Selon le ministère des Ressources naturelles, 16 916 postes ont disparu de 137 usines, que ce soit dans des papeteries, des scieries ou des fabriques de meubles, depuis avril 2005. En comptant les emplois directs et indirects, 65 000 personnes se sont retrouvées au chômage, affirme le Conseil de l'industrie forestière.

Au chapitre des emplois perdus définitivement, le compteur s'est arrêté au chiffre de 11 006, à la mi-décembre. C'est pratiquement 2200 personnes de plus qu'à la fin de 2008.

«Ça va continuer de descendre, commente Luc Bouthillier, professeur de politique forestière à l'Université Laval. Ce n'est pas strictement une question de conjoncture économique. Il s'agit de restructuration d'une industrie. Deux mille dix sera encore sombre. Certains qui résistent (aux fermetures) vont lâcher prise.»

«En 2009, souligne Robert Beauregard, doyen de la faculté de foresterie de l'Université Laval, la réalité nous a frappés. Les analystes le prédisaient, mais personne n'avait prévu la vitesse avec laquelle cela nous atteindrait.»

Cette réalité, c'est qu'il y a trop d'usines dans certains segments de production. Au tout premier rang, la fabrication de papier journal. M. Bouthillier signale que les besoins en Amérique du Nord, en décroissance constante, s'élèvent à 6 millions de tonnes. Or, dit-il, le Québec en produit 3,8 millions de tonnes.

Le PDG du Conseil de l'industrie forestière en est conscient. «C'est clair qu'il y a 500 000 tonnes de trop», laisse tomber Guy Chevrette, qui craint que d'autres entreprises tombent au cours des six prochains mois.L'avenir: l'environnement

Pour Robert Beauregard, deux secteurs s'approchent «de la fin de la route». Le papier journal est de ceux-là, de même que le secteur des papiers fins, d'écriture. Mais, insiste-t-il, il y en a deux qui ont «un brillant avenir: tout ce qui est papiers hygiéniques, et le cartonnage et l'emballage».

Dans ce dernier cas, les perspectives optimistes s'appuient sur un dossier qui fait l'objet d'une mobilisation planétaire: la réduction des gaz à effet de serre. «Avec le rôle déclinant du pétrole, en marge des changements climatiques, les plastiques et tout ce qui est dérivé de la pétrochimie seront remplacés par d'autres produits. Les papiers cartons sont parmi les solutions de rechange évidentes.»

Luc Bouthillier le note. Les emballages agro-alimentaires «sont un créneau porteur». Imaginer des papiers «intelligents» ne relève pas de la science-fiction. L'universitaire donne l'exemple d'un emballage en carton où un signe de tête de mort pourrait apparaître lorsque la bactérie E. coli se forme sur de la viande hachée!

La même préoccupation environnementale favorisera aussi l'industrie du bois à proprement parler, où 6120 emplois ont été radiés depuis 2005, dans le seul secteur de la première transformation.

«L'avenir est dans le bois, avance Robert Beauregard. Encore plus avec (la rencontre internationale de) Copenhague», au Danemark, où les participants se sont entendus, à la mi-décembre, sur «la valeur du bois pour la séquestration du carbone», un des principaux facteurs provoquant les dérèglements climatiques.

Contrairement au papier journal, les produits traditionnels du bois récupèrent tranquillement leurs débouchés. Le marché américain n'a connu la construction que de 600 000 logements, en 2009, indique M. Beauregard. Tous les analystes s'entendent, poursuit-il, pour dire qu'il reprend de la vigueur. D'ici quelques années, il y aura 1,6 million de mises en chantier.

Innover

Comme dans le domaine du papier, il faut aussi miser sur l'innovation. Ce qui se produit, d'ailleurs. Chantiers Chibougamau a investi pour obtenir «une valeur ajoutée» dans des robots pour le perçage et l'assemblage de pièces préfabriquées, donne comme exemple l'universitaire.

Au Conseil de l'industrie forestière, Guy Chevrette dit croire dans «une réorientation» des produits. Il y a dans l'air des projets pour la bioénergie, la fabrication de dérivés chimiques de la fibre ou la construction d'usine pour produire des granules pour le chauffage. «Mais, lance-t-il, tout ça ne se fait pas en criant lapin.»

Ce qui n'est pas toujours vrai, en tout cas, pas pour tous les produits, constate Luc Bouthillier. Quand la chaîne de restauration St-Hubert «a décidé de passer au vert, d'utiliser le carton pour ses emballages, de ne plus utiliser une once de styromousse, ça s'est fait en quelques semaines».

Ce dont tous conviennent, c'est qu'il faut des capitaux. Pour prendre le virage vert, il faudrait cesser d'afficher des pertes, répond M. Bouthillier.

Le porte-parole de l'industrie tient à y aller d'une précision. Il faut «rendre l'industrie compétitive et ça réside dans une chose, insiste M. Chevrette. Si tu n'as pas un secteur de la première transformation compétitif, comment en avoir un compétitif dans la deuxième ou troisième transformation?

«Ça, les dirigeants du Parti libéral du Québec et du Parti québécois ont tendance à ne pas le comprendre», mentionne-t-il, en faisant allusion à la bataille du Conseil pour obtenir des gouvernements la diminution des coûts de la fibre.