Voilà des heures que la jeep glisse sur le désert blanc tel un patineur artistique. Impossible de se repérer dans l'immensité cristalline. De la glace? Non. Du sel! C'est ici, sous ce paysage lunaire du Salar d'Uyuni, au coeur de l'Altiplano bolivien, que gisent près de la moitié des réserves mondiales de lithium, l'énergie propre du futur.

Au bord du lac fossile salé, des ouvriers en cagoules s'activent pour bâtir la première usine de lithium de Bolivie avant la fin de l'année. À côté du drapeau national rouge-jaune-vert, une grande bannière multicolore à damiers surplombe le chantier. «C'est la Whipala qui symbolise les siècles de luttes des Indiens des Andes», précise Marcelo Castro.

 

Visage bronzé et cheveux frisés, l'homme orchestre les travaux de construction lancés par Evo Morales. Pour le premier président du pays d'origine indienne, par ailleurs ancien syndicaliste, il s'agit d'en finir avec l'histoire tragique de la Bolivie, pillée durant des siècles par les étrangers.

Des milliers d'Amérindiens de la région de Potosi, où se situe le désert de sel d'Uyuni, n'ont-ils payé de leur vie l'exploitation des mines d'argent par les colons espagnols? Marcelo Castro a donc conscience de mener une mission symbolique. «Ce moment est historique pour les prochaines générations, car nous avons à la fois un trésor et un président ami qui va réinvestir l'argent pour la population», analyse-t-il.

Employé dans les antidépresseurs et les appareils électroniques, le lithium sera à la voiture électrique ce que le pétrole est au moteur à explosion, prédisent les experts. À la veille du lancement de nouveaux modèles, trois sociétés se disputent les faveurs de La Paz pour s'implanter rapidement.

Le Français Bolloré, qui prévoit de lancer sa «Blue Car» électrique dès 2010 et les mastodontes japonais Mitsubishi et Sumitomo. Le temps presse, car les prix du métal flambent.

Depuis le palais présidentiel de la place Murillo, à la Paz, Evo Morales joue son va-tout. Décrétée il y a trois ans, la nationalisation du gaz, l'autre grande richesse du pays, affiche un piètre bilan. Elle a fait fuir la plupart des sociétés concessionnaires étrangères. Cette fois, Evo Morales a fixé les règles du jeu dès le départ.

«La Bolivie ne cédera jamais le contrôle du lithium. L'État doit recevoir 60% des revenus générés par l'activité», scande-t-il à tout-va.

Pas facile, pourtant, de convaincre les habitants du village d'Uyuni de l'importance de l'industrie du lithium. Le lac salé représente la principale attraction touristique de la région.

Sur la terrasse de l'hôtel-restaurant Cactu, Sonia termine de servir le petit-déjeuner à un groupe d'Israéliens. Le lithium? La gérante aux yeux d'amandes plisse le front. «Les camions risquent de souiller le blanc pur du lac et l'exploitation industrielle va venir polluer notre eau» s'inquiète-t-elle. «S'ils détruisent nos magnifiques paysages, il ne nous restera plus rien au final.»