C'est un projet hydraulique qui pourrait valoir des milliards au Québec en redevances sur l'eau et en ventes d'électricité, affirme son concepteur, un ingénieur retraité d'Hydro-Québec.

Selon l'Institut économique de Montréal, ce serait un moyen de «valoriser l'or bleu du Québec» en alliant développement économique et protection de l'environnement.

De quoi s'agit-il? Un projet de 15 milliards de dollars qui utiliserait l'eau de trois rivières du sud de la Baie-James pour produire de l'hydroélectricité, avant de l'acheminer vers la rivière des Outaouais et le fleuve Saint-Laurent.

Du coup, le débit d'eau provenant du lac Ontario et des autres Grands Lacs pourrait être restreint davantage sans avoir d'impact sur le niveau du fleuve au Québec.

Ce faisant, le niveau des Grands Lacs, en baisse marquée, pourrait être renfloué afin de permettre des prélèvements d'eau additionnels pour des millions de résidants de l'Ontario et des États voisins.

Autrement dit, un moyen pour le Québec de vendre de l'énergie hydroélectrique et de l'eau douce de façon indirecte à ses voisins ontariens et américains.

Aussi, cette proposition supplante les projets antérieurs d'exportation directe d'eau à grande échelle, de toute façon interdite par la législation québécoise.

«L'eau a le potentiel d'être le véritable or bleu du Québec auprès de ses voisins américains et ontariens, mais à condition de le faire de façon raisonnable et responsable», a indiqué l'auteur du projet, Pierre Gingras.

Cet ingénieur à la retraite de 64 ans a travaillé trois décennies à la gestion de projets d'Hydro-Québec, dont les complexes Manicouagan, Outardes et la première phase de la Baie-James.

Retraité actif, M. Gingras travaille depuis trois ans à peaufiner son projet de «l'eau du Nord» grâce à ses nombreux contacts professionnels en ingénierie, en hydrologie (science de l'eau) et en hydroélectricité.

Pour faire la promotion de son projet, Pierre Gingras a obtenu l'appui de l'Institut économique de Montréal, où la «valorisation accrue des ressources naturelles du Québec» est un thème prioritaire.

«L'eau est une ressource encore sous-exploitée pour la création de richesse au Québec», selon Michel Kelly-Gagnon, président de l'Institut.

«Cela dit, il n'est pas question d'assécher des rivières pour exporter de l'eau à profit. Au contraire, un projet comme celui de M. Gingras minimise l'impact environnemental. Il mérite donc d'être discuté et d'être analysé plus en détail.»

Pierre Gingras attribue l'attrait environnemental de son projet à l'utilisation de rivières et de lacs existants pour acheminer le surplus d'eau de trois rivières de la Baie-James vers le bassin de la rivière des Outaouais, en passant par l'Abitibi.

Ce parcours serait parsemé d'une vingtaine de petites centrales hydroélectriques, avec réservoirs ou au fil de l'eau, installées sur des sites déjà connus.

Des stations de pompage seraient requises pour acheminer l'eau au-dessus du plateau de Val-d'Or, vers la rivière des Outaouais.

Mais leur besoin en électricité représenterait environ 18% de l'énergie produite par le réseau de centrales, estimée à 17,5 térawatts/heure par année, selon M. Gingras.

Le seul réservoir d'importance de tout le projet serait tout en amont, mais d'une superficie équivalente au tiers de celui de la centrale LG-3.

«Un tel projet m'apparaît techniquement réalisable, d'autant qu'il est proposé en terrain connu pour l'approvisionnement en eau avec peu d'impact environnemental», a dit Martin Stapinsky, spécialiste en hydrogéologie chez SNC-Lavalin Environnement, après consultation du projet de M. Gingras.

«Toutefois, ce projet risque d'être assez dispendieux par rapport à la valeur encore imprécise que l'on attribue aux approvisionnements en eau douce dans la région des Grands Lacs, qui est le marché cible de ce projet.»

Pour le moment, Pierre Gingras estime à 15 milliards la réalisation de son projet hydraulique, si elle avait lieu d'ici 13 ans.

Sa rentabilisation proviendrait de deux sources: les revenus de vente d'électricité, prévus à 2 milliards par année, et les redevances sur les prélèvements d'eau additionnels dans les Grands Lacs.

Ces redevances pourraient valoir jusqu'à 7 milliards par année au Québec si elles provenaient d'une «taxe» spéciale parmi les 150 millions de Nord-Américains dont l'alimentation en eau provient des Grands Lacs.

Mais d'emblée, M. Gingras admet que de telles redevances, à négocier parmi deux provinces et une dizaine d'États, représentent une «boîte de Pandore» pour son projet.

«Chose certaine, l'eau vaudra de plus en plus cher au fur et à mesure que le niveau des Grands Lacs continuera de baisser. On ne sait pas encore combien, mais c'est le Québec qui pourrait en profiter le plus.»