Le conseil d'administration de la société papetière AbitibiBowater (t.abh) a entériné la prime de départ de 17,5 millions US à son ex-président, John Weaver, à un moment où se multipliaient déjà les avertissements de crise de liquidités guettant l'entreprise.

Cette décision a été prise le 21 janvier 2009, a constaté La Presse Affaires dans des documents officiels déposés auprès des autorités américaines.

Même les analystes financiers et boursiers, qui l'avaient à l'oeil, s'en inquiétaient aussi de plus en plus.

Le 20 janvier 2009, la veille même de la décision d'AbitibiBowater de confirmer la prime à John Weaver, l'agence financière Moody's avait cassé la cote d'un lot de 5 milliards US de titres de dette.

La principale raison invoquée par l'agence financière: «La position très affaiblie des liquidités» d'AbitibiBowater qui, dans une conjoncture détériorée, rehausse considérablement son «risque de défaut de paiement à court terme».

Le mois précédent, en décembre 2008, l'agence de notation DBRS de Toronto avait aussi signalé le risque de liquidités chez AbitibiBowater lié au renouvellement d'un milliard en titres de dette au cours des prochains mois.

Malgré ces avertissements, les administrateurs d'AbitibiBowater ont décidé, le 21 janvier, d'entériner une version modifiée de la prime convenue quelques mois plus tôt avec son ex-président.

Deux jours plus tard, le 23 janvier, John Weaver a pu encaisser une première tranche de 4,5 millions US de sa prime. Il s'agissait du premier de six versements échelonnés jusqu'au 15 décembre 2009. Par ailleurs, au lieu d'un montant équivalent à un sixième (16%) de la prime totale de 17,5 millions, ce premier versement de 4,5 millions s'est avéré gonflé à hauteur du quart (25%) du montant total prévu.

Le versement subséquent pour le solde de 13 millions en prime était prévu pour le 30 avril.

Mais la mise sous protection de faillite d'AbitibiBowater, le 17 avril, a bloqué ce versement. À l'instar des 30 millions CAN en indemnités de fin d'emploi promis cette fois à des centaines de travailleurs licenciés récemment au Québec et en Ontario.

«Selon la loi, ces indemnités de fin d'emploi se retrouvent dans le grand panier des créanciers non garantis, comme les fournisseurs et prêteurs ordinaires de l'entreprise», a confirmé un avocat principal de la cause d'AbitibiBowater, en Cour supérieure à Montréal.

Pour les ex-travailleurs d'AbitibiBowater, l'arrêt des indemnités de licenciement est un autre souci provoqué par la protection de faillite.

Hier, la société papetière a obtenu la permission d'interrompre aussi une part importante de ses cotisations aux régimes de retraite.

AbitibiBowater est aussi soulagée, durant sa protection judiciaire, des débours mensuels de 13,2 millions en «cotisations d'équilibre» parmi ses 33 caisses de retraite.

Ces cotisations servent à renflouer le lourd déficit des caisses de retraite, qui totalise 1,4 milliard selon une estimation produite en cour.

AbitibiBowater avait demandé l'arrêt de ces cotisations spéciales peu après l'obtention de la protection judiciaire, le 17 avril dernier.

En lui accordant, hier, la juge Danièle Mayrand s'est rendue à ses arguments de liquidités insuffisantes - à peine quelques dizaines de millions - pour continuer ces cotisations sans risquer la panne financière complète, dès les prochaines semaines.

Aussi, s'appuyant sur des cas précédents, la juge a statué que ces cotisations d'équilibre aux régimes de retraite constituent des «obligations financières pour services passés».

Par conséquent, comme toutes les créances d'AbitibiBowater, elles sont admissibles à une cessation durant la protection judiciaire de faillite.

D'emblée, les principaux syndicats de la société papetière se sont dits très déçus de cette décision de la cour. D'autant qu'ils craignent qu'en cas d'échec de la restructuration et de faillite, le déficit des régimes de retraite pourrait amputer les prestations jusqu'à 25%.

«En interrompant les cotisations pour renflouer le déficit, on hypothèque davantage nos caisses de régimes de retraite», a déploré Sylvain Parent, président du syndicat FTPF-CSN.

Au Québec seulement, quelque 9000 ex-travailleurs d'AbitibiBowater perçoivent des prestations de ces régimes. Et au moins 7500 travailleurs actuels y contribuent avec l'attente d'une prestation de retraite décente, selon leur niveau d'ancienneté.

Pourtant, les syndicats avaient remporté une première manche en début de semaine, avec un ordre de la cour maintenant la bonification des régimes de retraite qui entrait en vigueur le 1er mai.

Peu après le 17 avril, AbitibiBowater avait annulé cette bonification qui, pour l'essentiel, devance de 58 à 57 ans l'âge de la retraite sans pénalité, pour les salariés de plus de 20 ans d'ancienneté.

Mais le juge l'a rabrouée en déclarant «illégale» une telle modification aux conventions collectives, même en protection de faillite.