BP, Eni, Petro-Canada... plusieurs géants pétroliers réduisent leurs dépenses d'exploration en réaction à la chute des prix du brut et de la demande mondiale. La crainte des experts se confirme: on réunit les éléments d'une remontée en flèche du cours de l'or noir.

La semaine dernière, on a signalé un embouteillage monstre à Rotterdam. Non pas dans les rues de cette jolie ville néerlandaise, mais dans le port.

Plusieurs gros pétroliers ont dû jeter l'ancre à l'écart des quais, obligés d'attendre avant de décharger leur précieuse cargaison. Du jamais vu dans le plus grand port européen.

La raison: les réservoirs du port de Rotterdam, qui servent à stocker près de 12 millions de mètres cubes de produits pétroliers, sont pour la plupart remplis à ras bord. Il faut donc attendre qu'ils se vident... pour les remplir à nouveau.

Cette congestion maritime peu commune est une autre indication, avec la chute de 100$US du prix du brut, que la récession mondiale étrangle la demande pétrolière.

Deuxième producteur en importance en Europe, BP Plc (British Petroleum) a sans doute pris note de ce qui se passe à Rotterdam. Car en annonçant un plongeon de 64% de ses profits au premier trimestre, mardi dernier, le géant britannique a aussi réduit pour la deuxième fois son budget d'exploration. BP abaisse ainsi de 10% ses investissements prévus en 2009, à moins de 20 milliards US.

La stratégie semble faire tache d'huile. L'italienne Eni SpA (profits en baisse de 43% au 1er trimestre) va aussi freiner ses dépenses, ayant reporté des investissements prévus dans des gisements pétrolifères.

Même chose à Petro-Canada (perte de 47 millions contre un profit de 1,1 milliard un an plus tôt), qui vient de suspendre le projet de sables bitumineux Forts Hills, en Alberta. Son budget d'investissement est aussi ramené au minimum.

Récession

La récession fait mal aux producteurs d'or noir.

Dans son dernier rapport, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit un recul de la demande pétrolière de 1,2 million de barils par jour (mbj), ou de 1,6%, cette année. Or, l'agence a révisé sept fois ses prévisions en un an à cause de la crise économique.

Chose certaine, la demande va se contracter pendant deux années d'affilée - ce qu'on n'a pas vu depuis le début des années 80 - et elle enregistrera en 2009 sa plus forte contraction depuis le début des années 70.

Dans ce contexte, pas surprenant que les prix du pétrole se soient écroulés: d'un sommet de près de 150$US le baril l'été dernier, ils oscillent depuis entre 43 et 53$US.

Le choc est important. Car l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) soutient que le prix du brut doit demeurer au-dessus de 70-75$US pour que ses membres puissent justifier de nouveaux investissements en exploration et en production.

Pénurie

Le mois dernier, l'AIE a pourtant invité les producteurs à prendre leur mal en patience et à continuer d'investir, en tablant sur un regain des prix avec la reprise économique. Sinon, le monde vogue vers «une grave pénurie de pétrole en 2013», prévient l'agence.

Mais on fait la sourde oreille dans l'industrie. Une quarantaine de projets d'exploration ont été retardés ou annulés depuis l'été, selon l'AIE.

Le recul des investissements porte le germe d'une pénurie «catastrophique» et d'une flambée des prix, a pourtant averti Ali Al Nouaïmi, le ministre saoudien du pétrole, lors d'un séminaire international sur l'énergie en mars. Il a raison.

Pour répondre à la croissance de la demande mondiale d'ici à 2030, il faudra une capacité de production de 64 mbj, soit huit fois la production de l'Arabie Saoudite, estime l'AIE.

«Les bas prix d'aujourd'hui préparent le terrain pour une nouvelle poussée de prix dans l'avenir», a prévenu le numéro 2 du Fonds monétaire international (FMI), John Lipsky, dans une récente allocution.

Dans l'immédiat, le FMI ne se plaint pas trop de la chute du prix du brut - une grosse économie qui correspond à une injection de 1000 milliards US (2000 milliards US, selon l'OPEP) dans l'économie mondiale. Mais on sait fort bien que ce répit n'est pas une solution à long terme.

«Plus les prix du pétrole chuteront et plus ils resteront bas longtemps, plus cela aura un impact négatif sur l'offre future», prévient M. Lipsky. Autrement dit, le message du FMI est le suivant: profitons des bas prix de l'essence pendant que ça passe.