La pancarte à vendre n'est pas encore installée mais les acheteurs se bousculent déjà aux portes. Des centrales hydroélectriques à vendre, on ne voit pas ça souvent sur le marché québécois et ça vaut son pesant d'or.

Ces centrales sont celles d'AbitibiBowater, qui songe à s'en départir pour éviter la faillite. L'entreprise est sur le point de vendre ses centrales ontariennes, qui peuvent produire 137 mégawatts, à un prix équivalent à environ 4 millions de dollars le mégawatt.

 

Sur cette base, la capacité de production de 385 mégawatts que l'entreprise possède au Québec vaudrait plus de 1,5 milliard de dollars. Le prix de vente réel serait probablement un peu moins élevé que cette somme parce que l'électricité se vend moins cher au Québec qu'en Ontario.

«La décision de vendre n'a pas encore été prise», a souligné hier le porte-parole d'Abitibi, Pierre Choquette.

Qu'importe, les acheteurs s'alignent. À peu près tous les producteurs privés d'électricité, comme Innergex, Boralex, Kruger ou Hydromega, rêvent de mettre la main sur ces centrales. Les géants Alcan et Alcoa sont aussi intéressés par ces installations, qui sont justement situées près de leurs usines, au Saguenay et sur la Côte-Nord.

Même Hydro-Québec a l'oeil dessus, a reconnu le premier ministre Jean Charest lorsqu'il a été interrogé sur cette question.

Ces installations de production d'électricité coûteraient en effet bien plus cher si elles devaient être construites aujourd'hui et elles devraient passer par un long et coûteux processus d'approbation gouvernementale et environnementale.

Approbation

AbitibiBowater possède sept centrales au Saguenay d'une capacité totale de 175 mégawatts et une à Baie-Comeau qui peut produire 350 mégawatts. La centrale de Baie-Comeau appartient à 40% à Alcoa, qui a aussi une priorité d'achat advenant la vente de la part d'Abitibi.

Le président d'Alcoa Canada, Jean-Pierre Gilardeau, a déjà indiqué que son entreprise ne laisserait pas passer ça.

Si Alcoa achetait la part d'Abitibi dans la centrale de Baie-Comeau, la transaction n'aurait pas besoin de l'approbation du gouvernement pour se réaliser, a fait savoir une porte-parole du ministère des Ressources naturelles, Hélène Simard. «S'il s'agit d'un échange d'actions et qu'il n'y a pas de changement dans l'utilisation de l'électricité produite, le gouvernement n'a pas à intervenir», a-t-elle expliqué.

Le gouvernement a toutefois de bonnes raisons de suivre ce dossier attentivement. Les difficultés financières d'AbitibiBowater sont une occasion inespérée pour Hydro-Québec d'accroître très rapidement sa capacité de production (et d'exportation) à bon prix.

Les centrales du Saguenay pourraient donc être achetées par Hydro-Québec. La société d'État peut compter sur un allié de taille en la personne de l'ancien grand patron d'Alcan, Dick Evans, qui est devenu président du conseil d'administration d'AbitibiBowater.

«De toute évidence, une transaction avec le gouvernement du Québec serait gagnant-gagnant pour les deux parties», a dit M. Evans lors d'une entrevue publiée le week-end dernier.

AbitibiBowater a intérêt à soigner ses relations avec le gouvernement du Québec, pour éviter ce qui lui est arrivé à Terre-Neuve. Le gouvernement de Dany Williams a en effet décidé de nationaliser les installations de production d'électricité d'AbitibiBowater, après que l'entreprise eut annoncé la fermeture de son usine de papier journal dans la province.

Concurrence

Une entente entre Abitibi et Hydro ne ferait évidemment pas l'affaire des producteurs privés. «Ce serait dommage qu'Hydro achète ça, a commenté le président d'Hydromega, Jacky Cerceau. C'est important que le secteur privé reste dans ce secteur pour maintenir une certaine concurrence».

Pour AbitibiBowater, ces éventuelles transactions pourraient faire la différence entre la faillite et la survie.

En 2007, l'entreprise a déjà encaissé 300 millions de la vente de 25% de ses centrales ontariennes à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Les 75% restants devraient lui rapporter 400 millions de plus. Si elle retire plus d'un milliard supplémentaire de ses installations hydroélectriques au Québec, Abitibi sera peut-être en mesure de respecter ses engagements financiers.

L'entreprise doit rembourser deux tranches de sa dette totalisant 650 millions de dollars avant la fin de l'année.