La Presse donne la parole aux grands dirigeants du Québec. Chaque vendredi, un patron répond à cinq questions posées par le chef d'entreprise interviewé la semaine précédente. Et ainsi de suite. Patrick Gilloux, président et chef des opérations de Keolis Canada, répond aujourd'hui aux questions de Michel Robert, président et chef de la direction du Groupe Robert.

Comment se porte l'industrie du transport de passagers au Québec et quelles sont vos stratégies pour attirer plus de clients dans une culture où les transports collectifs ne sont pas un naturel ?

Il y a plusieurs industries. Il y a le transport urbain, où les besoins sont toujours grandissants. Il y a le transport régional, assez dynamique, qui est possible grâce à un grand engagement financier des instances publiques. Et il y a le transport intercité, une activité privée en dehors de toute aide gouvernementale. Les articles de presse des dernières années en témoignent, tous les transporteurs interurbains de l'Abitibi jusqu'en Gaspésie ont du mal à vivre. Notre industrie fait face à la concurrence du covoiturage, au taux de pénétration grandissant des voitures particulières, au prix de l'essence qui reste bas et à une baisse de la population dans les régions.

On fait beaucoup d'efforts pour promouvoir notre activité intercité. On a orienté très clairement notre stratégie sur le client. L'an dernier, on a essayé de redonner aux conducteurs le goût de l'accueil clientèle. On fait également beaucoup d'efforts en rénovant notre flotte de véhicules. On a depuis l'an dernier une stratégie tarifaire. Désormais, nous offrons un tarif de base, mais également un tarif réduit, voire super réduit. Toutes les technologies sont aussi au goût du jour avec des applications mobiles et la possibilité de réserver en quelques clics. On est passé d'une industrie vieillissante à une industrie futuriste.

Keolis étant un leader européen du transport par bus, quelles sont les technologies qui sont développées en Europe et qu'il serait possible d'adapter ici ?

Keolis en Europe touche à tous les métiers du transport et le maximum d'intermodalité. On parle du bus, du train, du métro, du tramway... Keolis est le leader mondial du métro sans conducteur. Nous avons en France les meilleurs experts au monde capables de déployer ce genre de technologie. Nous développons aussi avec les pays scandinaves énormément de programmes d'électrification des transports.

C'est une vraie source d'inspiration pour le Québec. Nous avons d'ailleurs mené des expérimentations de véhicules électriques dans Lanaudière. Nous avons acheté l'an dernier des véhicules scolaires électriques et nous nous apprêtons à renouveler l'expérience en 2017. Keolis exploite à Lyon une navette urbaine autonome qui permet de transporter une quinzaine de personnes par voyage. Nous avons fait l'acquisition d'un véhicule autonome qui pourra servir de démonstration dans les mois qui viennent au Québec, mais qui pourra également devenir un véritable outil au service des collectivités qui voudraient offrir cette technologie à leurs citoyens.

Avec tous les projets de transports collectifs annoncés pour les prochaines années (prolongement du métro, REM), comment positionnez-vous votre entreprise comme complément à ces projets ?

On souhaite s'inscrire comme acteur. D'ailleurs, la loi 76 donnera des opportunités en ce sens puisqu'elle vise à redéfinir les besoins de transport. On peut imaginer qu'il y aura une réflexion stratégique sur ce qu'il faut offrir aux citoyens. Il est évident que nous serons très intéressés d'y participer. Ça peut se faire au travers d'appels d'offres. Nous pouvons également être porteurs de solutions, notamment pour des projets de véhicules autonomes ou d'intermodalité. On a toute la chaîne de transport, des transports en commun au vélo.

Quel est votre bassin de main-d'oeuvre (mode de recrutement, occasions favorables pour vos travailleurs européens...) ?

Notre bassin est avant tout très local. Certes, il peut y avoir des Européens ou des Australiens qui rêvent de prolonger leur expérience professionnelle ici, mais il y a des bénéfices à faire travailler des acteurs locaux, particulièrement pour la connaissance intime du milieu (les règlements, les particularités sociales...). Nos conducteurs, nos superviseurs et nos répartiteurs sont choisis dans un périmètre très local. D'ailleurs, nos chauffeurs sont très bien formés et les grandes sociétés de l'agglomération urbaine de Montréal n'hésitent pas à nous les chiper. Nous avons donc développé il y a deux ans le programme Académie. Nous recrutons des personnes qui n'ont que le permis de classe 5 (pour un véhicule particulier). On choisit ceux qui ont le profil d'un bon conducteur au service de la clientèle. On les forme pour obtenir leur permis de classe 2 et on a la chance de les garder chez nous, car il s'établit une sorte de partenariat ; 90 % des gens du programme sont fidèles à l'entreprise et y restent.

Quelle est votre position et quelles mesures de contrôle interne pensez-vous mettre en place à la suite du projet du gouvernement Trudeau de légaliser la marijuana ?

L'alcool est légal au Canada, mais nos chauffeurs ne sont pas ivres tous les matins. Si la marijuana est légale demain, elle ne sera pas plus autorisée que l'alcool et nous aurons les mêmes moyens de contrôle pour faire en sorte que nos conducteurs ne roulent pas sous l'emprise de la drogue. Voilà.

Le parcours de Patrick Gilloux en bref

Âge : 63 ans

Études : Patrick Gilloux est titulaire d'un diplôme en génie mécanique et développement de l'Institut national des sciences appliquées de Lyon.

En poste depuis : octobre 2014

Nombre d'employés : plus de 950 au Québec

Avant d'être président : il est entré au service du Groupe Keolis en 1980 comme opérateur de transport avant de passer à des rôles de responsabilité croissante dans toute l'entreprise. Il dirigeait notamment, de 2008 à 2014, l'ensemble des opérations du secteur atlantique.