La Presse donne la parole aux grands dirigeants du Québec. Chaque vendredi, un patron répond à cinq questions posées par le chef d'entreprise interviewé la semaine précédente. Et ainsi de suite. Sylvain Prud'homme, président et chef de la direction de Lowe's Canada, répond aujourd'hui aux questions de Charles Brindamour, chef de la direction d'Intact Corporation Financière.

Au cours de votre carrière, vous avez travaillé pour quelques-unes des plus grandes entreprises de commerce de détail au Canada (Walmart, Loblaw, Lowes). Quels sont vos apprentissages les plus importants sur les consommateurs canadiens ?

Le premier point est probablement les nuances régionales importantes. Pour moi, il y a cinq grandes zones au Canada : la côte Ouest, les Prairies, l'Ontario, le Québec et les Maritimes. Les réalités sont très différentes d'une région à l'autre. C'est très facile de peindre en beige le pays et d'oublier les nuances. Le consommateur canadien, il faut le comprendre par région.

Le niveau de compétitivité important entre les détaillants au Canada crée aussi des attentes auprès du consommateur. Les détaillants doivent s'ajuster. Finalement, le consommateur canadien, pas vraiment différent du consommateur global, est en changement. Le statu quo n'existe pas, ses attentes particulières sont relatives au moment. Le détaillant doit rester très près de ces changements et s'adapter.

Comment faites-vous pour regrouper efficacement deux marques durant une acquisition et pour vous assurer que les nouveaux employés de la société acquise s'intègrent bien et s'adaptent à sa culture ?

La première chose à faire est de bien définir la nouvelle organisation. Dans le cas présent, avec Rona, on a toujours dit que la beauté de l'acquisition était de pouvoir bénéficier du savoir-faire des deux organisations pour créer la nouvelle. On devait donc d'abord s'assurer que la mission, la vision et les valeurs étaient claires. Ensuite, on doit comprendre d'où on part, comprendre où étaient les deux entreprises sur le plan de leur culture et de leurs valeurs, pour être capable d'établir le bon plan d'affaires avec les employés. Chez nous, l'enjeu était de ne pas perdre l'identité de Lowe's et de Rona, ce qui a été fait à travers les marques de commerce qui vont perdurer et croître. On a fait beaucoup de travail et d'études, et ç'a été bien plaisant de réaliser que les deux cultures d'entreprise étaient très semblables.

Être une entreprise américaine sur le sol canadien peut présenter certains défis en ce qui a trait à la stratégie de marque, puisque les consommateurs canadiens veulent pouvoir se reconnaître dans la marque qu'ils choisissent ou utilisent. Quelles stratégies avez-vous employées pour que les consommateurs canadiens adoptent Lowes ?

Encore une fois, on doit d'abord bien comprendre les consommateurs canadiens. Souvent, les organisations ne prennent pas assez de temps pour comprendre leurs besoins. Ensuite, on a bien défini le plan d'affaires canadien et on s'est assurés que l'entité canadienne avait les capacités, les talents et les ressources pour l'exécuter. Par la suite, on s'est assuré d'avoir un plan de communications qui permet au consommateur de se reconnaître dans la marque de commerce. Ça, on le fait avec différentes stratégies de commercialisation et de marketing. Par exemple, le porte-parole de Lowe's est Bryan Baeumler, probablement une des sommités en rénovation domiciliaire, qui est très connu au Canada anglais grâce à la chaîne HGTV. On a eu énormément de succès avec cette stratégie. On mise aussi sur l'intensité promotionnelle.

Le secteur de la vente au détail est en train de changer de façon considérable en raison de la popularité croissante des achats en ligne. Selon vous, que doivent faire les détaillants traditionnels pour demeurer concurrentiels ?

Je pense que la popularité des achats en ligne n'est qu'une expression de la migration de l'industrie vers une réalité omnicanale. Ce n'est qu'un des nouveaux canaux disponibles pour le consommateur. Cette migration est cruciale, car elle reflète encore une fois les besoins changeants des consommateurs. Par défaut, les détaillants traditionnels doivent rester extrêmement près de l'évolution de ces besoins-là. Il faut permettre aux clients de faire leurs achats où ils le veulent, quand ils le veulent et de la façon dont ils le veulent. La vitesse à laquelle le détaillant sera capable d'adapter son réseau à ces nouvelles attentes sera déterminante afin de permettre au détaillant de demeurer concurrentiel. Les attentes minimales que le consommateur avait concernant les interactions il y a 10 ans sont très différentes aujourd'hui et le seront aussi demain.

À mesure qu'une entreprise croît, elle peut avoir tendance à devenir plus formelle et à perdre de vue la source d'inspiration qui a mené à sa création. Comment faites-vous pour éviter que cela se produise ?

C'est un défi dont on est très conscients. Le monde est en constante évolution et le statu quo n'est pas une option. C'est certain qu'on ne doit pas perdre l'essence de l'organisation, mais l'inspiration, elle, doit être actuelle, étroitement liée au moment présent. C'est important selon moi d'avoir une vision claire et de l'actualiser. Souvent, l'erreur que certaines organisations font est de ne pas adapter leur mission et, par défaut, l'inspiration n'a pas suivi.

LE PARCOURS DE SYLVAIN PRUD'HOMME EN BREF

Âge : 52 ans

Études : Sylvain Prud'homme est titulaire d'une maîtrise en administration des affaires de HEC Montréal.

Président depuis : mars 2013 (PDG de Lowe's Canada depuis mai 2016)

Nombre d'employés : plus de 24 000 employés et plus de 5000 au service des détaillants affiliés indépendants de RONA

Avant d'être PDG : il occupait le poste de vice-président principal, Exploitation et Marchandisage de Loblaws. Il a également été président de l'Exploitation, région de l'Ouest, chez Sobeys et vice-président principal, Exploitation et Marchandisage de Walmart Canada.