Monique Jérôme-Forget, ex-ministre des Finances et ex-présidente du Conseil du trésor et Jacques Ménard, président et chef de la direction de BMO Groupe Financier Québec, ont reçu cette semaine respectivement les prix OEuvre de toute une vie et Lui pour elle de l'organisme Gouvernance au féminin. Entrevue sur le thème de l'avancement des femmes.

Êtes-vous réjoui ou attristé de l'existence de ces prix pour promouvoir, encore en 2015, l'ascension des femmes?



Monique Jérôme-Forget: «Recevoir un prix est toujours flatteur parce que cela signifie que les gens reconnaissent ton apport. Toutefois, s'il y a encore de tels prix, c'est simple, c'est parce que c'est loin d'être gagné. Il y a encore seulement 6% de femmes PDG.»

Jacques Ménard: «Je suis surpris de recevoir une telle accolade, mais elle est liée à ce que j'ai pu faire individuellement pour la promotion des femmes dans les milieux où j'ai évolué, et pour ce que BMO a fait. Mais c'est vrai que c'est triste qu'en 2015, on ait encore à travailler pour faire une juste place aux femmes. D'après une étude de Catalyst Canada, à travail égal, l'écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est de 8000$.»

Qu'est-ce qui a le plus changé aujourd'hui concernant les femmes dans les hautes sphères des entreprises, comparativement à votre début de carrière?



MJF: «Aujourd'hui, il y a une très grande solidarité entre les femmes. Moi, par exemple, lorsqu'on me demande des recommandations pour des conseils d'administration, je suggère des femmes puisque je me dis que d'autres suggéreront des hommes! Beaucoup d'organismes appuient les femmes aussi. Puis, maintenant, les femmes prennent des congés de maternité, mais elles retournent travailler après. Par contre, j'ai envie de leur dire de demander des promotions, de ne pas se mettre sous le radar parce qu'elles sont occupées. Les hommes en font beaucoup plus qu'avant dans les familles, mais c'est rare qu'ils fassent 50%. Souvent, les femmes veulent faire plus, d'ailleurs, pour faire les choses à leur façon. J'ai envie de leur dire de se calmer. Écoutez, là, il faut laisser tomber des choses.»

JM: «Je suis dans l'industrie depuis 45 ans. Aujourd'hui, il y a Christine Marchildon à la tête de TD, Monique Leroux chez Desjardins, Isabelle Hudon chez Sunlife, Diane Giard à la Banque Nationale. En 1970-1971, ça n'existait pas. Elles ont été des pionnières, et aujourd'hui, il est devenu normal de voir des femmes à des postes de très haute direction dans le milieu financier.»

Qu'est-ce qui n'a pas changé?



MJF: «Dans certains secteurs et postes, on ne pense jamais à nommer des femmes. Comme ministre des Finances. Moi, j'ai été nommée, mais ç'a été vu comme spectaculaire simplement parce que j'étais une femme. Aussi, la perception qu'on a des femmes dans des comportements de management. Une étude de cas de Harvard l'illustre bien. Le même cas présenté aux étudiants avec Heidi ou avec Howard change complètement les perceptions des étudiants. Heidi est vue comme agressive et autoritaire, alors que Howard est vu comme un homme dynamique, qui sait où il va.»

JM: «Il y a encore du chemin à faire sur le plan de la rémunération et dans les conseils d'administration. Chez BMO, par exemple, on a presque 40% de femmes dans des postes de direction, mais seulement 5 sur 13 au conseil d'administration. Surtout dans les sociétés publiques, il y a encore du travail à faire même s'il y a une volonté de changement.»

Qu'est-ce qui est le plus efficace pour aider les femmes à gravir les échelons?



MJF: «Demander de plus en plus publiquement un certain nombre de femmes à la tête des sociétés.»



JM: «Les femmes ont des responsabilités que les hommes n'ont pas lorsque vient le temps de former une famille, et les employeurs doivent faire preuve de plus de flexibilité et d'imagination en matière de conciliation. Aussi, lorsqu'on introduit une jeune cadre dans un milieu historiquement masculin, il faut l'entourer d'autres femmes. La perception des hommes de la performance des femmes doit se baser sur plusieurs femmes et non sur une seule. Puis, les chances d'acceptation et de succès sont plus grandes lorsqu'elle n'est pas isolée.»

Pourquoi les hommes dans des postes de direction devraient-ils aider les femmes à gravir les échelons?



MJF: «Parce qu'avec les femmes, on double le bassin de talents. Toute la société, la croissance économique, l'innovation sont basées sur le talent et la connaissance. On se prive actuellement d'une productivité, d'une qualité de vie pour l'ensemble des citoyens.»

JM: «Moi, je l'ai fait puisque cela reflétait mes valeurs. Puis, j'aime penser que les femmes apportent une dimension humaniste aux responsabilités de gestion qui ne contredit pas les objectifs économiques et financiers. Dans des postes de direction, il faut aussi répondre aux attentes des employés, puis aux besoins des communautés. C'est comme ça que les entreprises deviennent plus pertinentes. Puis, plus une entreprise est représentative de la société, dans toute sa diversité, moins elle risque de déraper.»