La politique n'est pas réservée qu'aux politiciens! Tous les travailleurs participent à des jeux de pouvoir, souvent à leur insu. Instrument à deux tranchants, la politique de bureau peut faire et défaire des carrières. Heureusement, c'est un art qui s'apprend.

Quand Julia, 25 ans, a décroché son premier «vrai» travail, elle a eu un choc. Pleine de bonnes intentions, elle ne voulait faire que le boulot d'adjointe de direction pour lequel elle avait été embauchée. «Mais ça ne suffit pas! s'exclame Julia. Pour mener à bien mes dossiers, j'ai dû comprendre la dynamique de mon bureau qui est passablement compliquée. Certains employés se haïssent, d'autres s'adorent. Il y en a qui sont très gentils avec moi et d'autres qui me mettent des bâtons dans les roues. Je dois amadouer, échanger des faveurs, faire attention à ce que je dis et à qui je le dis... J'ai l'impression de jouer une immense partie d'échecs. Cela ne faisait pourtant pas partie de ma description de tâches!»

Julia fait l'expérience de ce qu'on appelle la politique de bureau, ce à quoi n'échappe aucun travailleur. «La politique de bureau, c'est l'utilisation que font les gens de leur pouvoir dans un contexte de travail», définit Pierre Lainey, maître d'enseignement en management à HEC Montréal et conseiller en ressources humaines agréé. «Ce sont les courants sous-jacents d'un environnement de travail: les ambitions, les rivalités, les crises personnelles, etc.», ajoute Michael O'Leary, vice-président régional au Québec de la société de recrutement Robert Half Canada.

À première vue, la politique de bureau semble rimer avec magouille et manipulation. Il est vrai qu'une minorité de travailleurs pratique les jeux de pouvoir comme le fait Frank Underwood, le président machiavélique de la série télé House of Cards. «Ils mentent, sabotent le travail de leurs collègues, s'approprient le succès des autres et poignardent leurs alliés dans le dos», explique Pierre Lainey.

Cela dit, les habiletés politiques au boulot, mises à profit de façon positive, sont essentielles à l'avancement au sein d'une organisation. «Le milieu du travail d'aujourd'hui exige une grande collaboration entre les employés, rappelle M. Lainey. D'où l'importance de créer et de maintenir des alliances tout en sachant faire face à l'opposition.»

Moi, stratège?

Bien qu'il soit un spécialiste des habiletés politiques au bureau, Pierre Lainey avoue avec candeur qu'il n'a pas toujours su tirer son épingle du jeu. «J'ai souvent été la cible de manoeuvres politiques», avoue-t-il. Mais il est la preuve que le sens politique s'apprend.

À ceux qui veulent réveiller le stratège en eux, il conseille de pratiquer la politique de bureau avec authenticité et transparence. «C'est ainsi qu'on assoit sa crédibilité et qu'on suscite la confiance de ses pairs», signale-t-il.

Pour commencer, on cerne les enjeux qui préoccupent les collègues. «Ce sont les gains souhaités et les pertes à éviter, explique Pierre Lainey. Par exemple, on pourrait vouloir être associé à la réussite d'un projet et, pour cela, espérer que ce même projet ne soit pas contesté. Ces enjeux ne sont pas toujours exposés clairement. Il faut s'exercer à les décoder.»

Dans un second temps, on construit son capital politique en aidant son patron et ses collègues à atteindre leurs objectifs. Puis, avec le temps, on consolide ses alliances et on espère que les autres offriront leur soutien en retour.

Il arrive que les désirs des collègues concernent davantage leur avancement personnel que les intérêts de l'organisation. «C'est là où le jeu politique peut devenir nuisible», remarque Pierre Lainey. La déception d'une personne qui ne décroche pas une promotion, par exemple, pourrait empoisonner les jeux de pouvoir et faire des victimes au passage. «Si vous êtes l'employé promu et que vous devenez la cible de votre collègue déçu, faites-lui part de vos perceptions, suggère l'expert. Si vous ne vous en sentez pas capable, tournez-vous vers celui qui devrait toujours être votre meilleur allié: votre patron.»

Le gestionnaire, maître du jeu

Pour Michael O'Leary, le patron occupe un rôle central dans les joutes politiques organisationnelles. «En tant que gestionnaire, il faut être très sensible à ce qui se passe au sein de notre personnel et veiller à ne pas alimenter négativement la politique de bureau, par exemple en retenant de l'information, en mettant toujours les mêmes employés sur un piédestal ou en critiquant sans être constructif», observe-t-il.

Les jeux politiques sont impossibles à réguler, et il importe avant tout d'éviter les dérapages. Comment? En communiquant avec rapidité et transparence l'information importante, en nourrissant un sentiment d'appartenance et en rencontrant fréquemment les employés. «Le faux pas le plus courant en politique de bureau est de rester loin de la politique de bureau, estime Michael O'Leary. Au contraire, plus un gestionnaire discutera avec ses employés, plus il sera au fait de l'évolution des jeux de pouvoir entre eux.»