Un employé qui fait un temps plein en quatre jours, un autre qui travaille trois jours par semaine, un troisième à cinq jours. Avec l'avènement des générations X et Y, la féminisation du marché du travail et la raréfaction de la main-d'oeuvre qui donne plus de pou voir aux travailleurs, les entreprises doivent composer avec du temps partiel et des emplois du temps presque individualisés. Tout en restant compétitives. Une gageure? Non.

Marc Nélis, président-propriétaire de Croisières Franco-Fun, arrivait de son Europe natale - il est d'origine belge - lorsqu'il a repris une agence de voyages spécialisée dans les croisières à Montréal en 2007.

Un de ses premiers sujets d'étonnement: des employés qui demandent à travailler trois ou quatre jours par semaine ou... partent chercher un autre employeur.

Lui qui était habitué à un marché du travail tendu en Europe, ce qui laissait peu de place aux exigences des travailleurs, il a appris qu'au Québec, «les chefs d'entreprise doivent aussi faire preuve de souplesse».

Il s'y est fait. «Ça demande une certaine adaptation, d'autant que j'ai 50 ans, donc je suis plutôt de la vieille école, dit-il dans un sourire. Mais comme c'est difficile de recruter du personnel de qualité, on ne peut pas être rigide.»

Aujourd'hui, son entreprise compte 10 employés. Les deux salariées du bureau de Québec, des femmes en fin de carrière, travaillent chacune trois jours seulement. Elles sont ensemble à l'agence le mercredi, ce qui permet de faire le lien, et «avec les technologies ainsi qu'une bonne organisation, ça fonctionne bien», reconnaît Marc Nélis. Les avantages pour l'entreprise, lorsque les contraintes sont bien gérées, sont «des salariés satisfaits et aussi une flexibilité qui peut être pratique pour la gestion des affaires et la réduction des charges», poursuit l'entrepreneur.

Forte demande pour les quatre jours

L'exemple de Croisières Franco-fun est loin d'être exceptionnel. «Mes études ont montré que la semaine de quatre jours est très demandée par les travailleurs», constate Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, professeure à l'École des sciences de l'administration de la TELUQ, qui s'est intéressée au thème de la conciliation travail-famille.

Le désir de travailler moins vient de toutes les générations, mais principalement «des personnes qui ont de jeunes familles et des seniors qui veulent continuer de travailler, mais à un rythme moins exigeant», observe la chercheuse.

Parfois, il s'agit de faire le même nombre d'heures en moins de jours en rallongeant la durée de la journée de travail, parfois les travailleurs conservent leur sept ou huit heures de travail habituelles, quitte à voir leur salaire amputé en conséquence. «On voit de plus en plus de gens prêts à faire un sacrifice salarial pour un aménagement du temps de travail», poursuit Diane-Gabrielle Tremblay.

Une évolution que les entreprises tardent pourtant à suivre, regrette la professeure. «Elles avancent souvent que c'est compliqué d'accéder à cette demande et elles craignent de créer un précédent, mais elles devraient l'utiliser comme un avantage concurrentiel dans le contexte de rareté de main-d'oeuvre actuelle. C'est également une source de loyauté tandis que les entreprises se plaignent souvent que les travailleurs changent trop souvent d'employeur», fait-elle valoir.

Certes. Mais le milieu des affaires plaide qu'il est pris en tenaille entre les desiderata de ses travailleurs et la nécessaire continuité du système de fabrication dans le domaine manufacturier ainsi que les impératifs de productivité dictés par une concurrence souvent féroce et aujourd'hui mondialisée. Pas simple. Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec (CPQ), résume ainsi l'équation: «Elles doivent non seulement survivre dans un monde très compétitif, mais aussi retenir les talents», ce à quoi participe l'aménagement du temps de travail.

«Une occasion plutôt qu'une menace»

Mais «même si ce peut être un casse-tête, reconnaît Yves-Thomas Dorval, on peut le considérer comme une occasion plutôt qu'une menace».

Certes, tous les domaines d'activité ne peuvent facilement accepter les réductions du temps de travail. L'industrie minière notamment ou le secteur manufacturier pourront plus rarement accéder à ces demandes que celui des services, où subsistent néanmoins des défis, souligne le PDG du CPQ.

Mais quand c'est possible, cela peut être source de... productivité. «Souvent, les travailleurs à quatre jours sont plus productifs, car ils ont l'esprit libre: pendant leur journée de repos, ils font une foule de choses personnelles qui les accompagneraient sinon au travail (changer les pneus de la voiture, téléphoner au plombier, prendre un rendez-vous médical, etc.). Il y a moins de présentéisme», poursuit M. Dorval.

Accepter que des travailleurs soient présents dans l'entreprise à temps partiel exige dans tous les cas une réorganisation souvent salutaire. «Ça brasse forcément l'entreprise et ça peut avoir des conséquences positives», affirme Diane-Gabrielle Tremblay. Ainsi, cela peut la pousser «à investir dans la technologie ou l'automatisation», ajoute Yves-Thomas Dorval, qui cite l'exemple de l'Allemagne dont les habitants travaillent moins en moyenne par an que le Québec, mais ont une meilleure productivité notamment grâce aux investissements des entreprises pour adapter leurs processus.

Avec l'arrivée sur le marché des nouveaux gestionnaires - même s'ils ne font pas toujours preuve d'autant d'audace qu'on pourrait s'y attendre, regrette Diane-Gabrielle Tremblay -, il se pourrait que les semaines de quatre jours connaissent un franc essor dans les prochaines années.

PHOTO FOURNIE PAR TELUQ

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à l'École des sciences de l'administration de la TELUQ.