Les employés qui veulent faire connaître leur engagement au travail doivent trouver le juste équilibre entre leur liberté d'expression et leur obligation de loyauté envers l'employeur.

Karine Gentelet, 45 ans, est chercheuse au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Elle préside aussi le conseil d'administration de la section francophone canadienne d'Amnistie internationale. Deux identités qu'elle arrive à concilier au travail. «Mes deux vies ne sont pas si imperméables, car j'étudie les droits autochtones dans mon travail et que je les défends au nom d'Amnistie, observe-t-elle. Pour éviter d'être en conflit d'intérêts, je tiens toujours mon patron au courant. Par exemple, je ne vais pas transmettre de l'information à propos d'Amnistie à mes collègues sans son aval. C'est une question de transparence et d'honnêteté.»

Approbation de l'employeur

Pour quiconque souhaite discuter de son activisme autour de la machine à café, l'exemple de Karine Gentelet est à suivre. «Ça prend l'approbation de l'employeur parce que cela pourrait perturber le milieu de travail», confirme Mélanie Morin, avocate associée chez Gowling Lafleur Henderson et conseillère en ressources humaines agréée.

Bien sûr, les travailleurs peuvent parler de leurs convictions au bureau. Il en va de la liberté d'expression, protégée par la Charte des droits et libertés, aussi bien québécoise que canadienne. Mais ils doivent le faire tout en s'acquittant de l'obligation de loyauté envers l'employeur, un devoir inscrit dans le Code civil du Québec. «C'est une forme de retenue envers son employeur, explique Me Morin. On doit faire preuve de respect et d'honnêteté, être de bonne foi et agir de manière diligente.»

Cette obligation s'applique en tout temps et en tout lieu, même sur le web. «Il faut faire attention aux médias sociaux, insiste l'avocate. Il arrive que des individus y communiquent leurs opinions en les signant avec leur titre et le nom de leur organisation. Ça ne se fait pas, à moins que la personne s'exprime dans le cadre de ses fonctions et que ce soit entendu avec son employeur.»

Ne pas dépasser les limites

Mélanie Morin conseille aux employés militants de définir avec leur patron les limites de ce qui peut être dit ou fait au travail au nom de leur cause. «L'employeur a un droit de gérance par rapport à cela», rappelle-t-elle.

Paul, dirigeant d'une PME en banlieue de Montréal, s'est prévalu de ce droit il y a quelques années quand une employée s'est engagée avec passion dans la défense des animaux. «Au début, c'était plutôt inoffensif, raconte l'entrepreneur qui préfère taire son identité. Elle ajoutait des pensées au bas de ses courriels et épinglait des affichettes dans son cubicule. Mais j'ai dû mettre le holà à tout ça quand elle a commencé à critiquer des collègues parce que leur lunch contenait de la viande et qu'elle leur faisait suivre systématiquement des messages sur la cruauté faite aux animaux. Ça empoisonnait l'ambiance au bureau.»

Karine Gentelet n'a jamais cherché à pousser l'expérience aussi loin. «Je n'ai pas submergé le centre de recherche d'une vague jaune et noire [les couleurs d'Amnistie internationale]! lance-t-elle en riant. Pour moi, il est hors de question que je sollicite des dons auprès de mes collègues, que je distribue des tracts ou que je porte un écusson.» Parfois, avec l'autorisation de son patron, elle informe ses collègues d'événements organisés par Amnistie, mais elle les choisit avec soin et n'en fait pas une habitude. «Au boulot, je suis payée pour être chercheuse, pas militante, signale Karine Gentelet. Je porte deux chapeaux distincts. N'empêche, mes rôles se superposent à l'occasion, par exemple quand j'assiste à une conférence où je croise des collègues et des gens d'Amnistie. Je leur précise alors quelle organisation m'envoie pour ne pas entretenir de flou.»

La chercheuse admet que militer au travail exige une certaine réceptivité des collègues et du patron. «Si je n'avais pas été dans un milieu sensible à la défense des droits, je n'en aurais peut-être pas parlé», dit-elle.