Malgré des milliards de fonds publics injectés chaque année, le chômage chez les jeunes, la pauvreté, la consommation de drogues en tout genre, la criminalité et bien d'autres fléaux persistent dans les sociétés les plus avancées et même parmi les plus redistributives d'entre elles.

Pourquoi alors ne pas tenter d'y lancer des entreprises sociales (social businesses)? Il s'agit d'entreprises dont le but ultime n'est pas la recherche du profit, mais la pérennité et la résolution d'un problème social.

«Les entreprises sociales ne versent pas de dividende. Leur raison d'être est de s'attaquer à des problèmes sociaux», rappelle en entrevue par téléphone depuis Dacca l'économiste Muhammad Yunus, concepteur de ce type original d'entreprise.

Sans subventions

Le 27 mai, il sera conférencier à Montréal dans le cadre de C2MTL. Le Nobel de la paix de 2006 précise que l'entreprise à vocation sociale n'est pas assimilable à une organisation à but non lucratif, puisqu'elle ne dépend pas de subventions ni de dons.

Ce n'est pas non plus une coopérative puisque l'entreprise est bel et bien détenue par des actionnaires entrepreneurs qui sont les responsables de ses succès. Elle a le devoir de s'autofinancer.

M. Yunus a fondé sa doctrine économique en voulant sortir les gens de son pays, le Bangladesh, de l'indigence. Il est persuadé que son modèle peut aussi être importé au Canada pour, par exemple, briser la dépendance du bien-être social qui se transmet, malheureusement, trop souvent de génération en génération. Il juge aussi son modèle d'entreprise tout indiqué pour les autochtones.

«La charité crée trop souvent de la dépendance, déplore-t-il. L'important est d'identifier le besoin social. Est-ce l'alcoolisme, le chômage des jeunes? Peu importe. Il faut ensuite faire confiance aux gens du milieu, pour développer un bien ou un service adapté au besoin identifié, et les soutenir pour qu'ils soient capables de le vendre. Si ça marche pour une dizaine de personnes, alors ça pourrait aussi marcher pour beaucoup de monde.»

Alors qu'il dirigeait (jusqu'en 2011) la Grameen Bank (Banque du village), il a développé le microcrédit qui facilite le déploiement des entreprises sociales.

Au Canada, l'endettement des ménages est un grave problème social. Le microcrédit peut-il s'y attaquer, paradoxalement? M. Yunus croit que oui. «Évidemment, ce serait un défi, mais il faut compter sur la créativité des gens», plaide-t-il.

Dans son pays, il s'est attaqué aux problèmes de l'eau potable puisque la nappe phréatique contient naturellement de petites quantités d'arsenic.

La Grameen Bank s'est aussi associée avec de grandes entreprises devenues actionnaires d'entreprises sociales avec pour seule perspective de récupérer leur mise.

C'est ce type de modèle que M. Yunus poursuit aujourd'hui avec la Yunus Social Business (YSB), organisation parapluie établie à Francfort et qui essaime dans une dizaine de pays.

L'YSB est notamment associée avec la canadienne McCain pour promouvoir la culture de la pomme de terre en Colombie.

Dans certains milieux, on a reproché à M. Yunus de faire obstacle ou de se substituer à l'État, en créant des entreprises destinées à résoudre des programmes sociaux. Le soutien de grandes entreprises à ses efforts lui vaut aussi des accusations de néo-libéralisme, une épithète péjorative lorsque prononcée par certaines bouches.

Sa réponse est toute prête. «On ne peut pas laisser les gouvernements ou les grandes entreprises à ne rien faire. S'il y a problème, c'est une responsabilité humaine que de s'y attaquer. Et ce n'est pas mauvais de concurrencer l'État si c'est pour améliorer un service.»

C'est ainsi qu'est né le microcrédit, puisque les banques ne prêtent qu'aux gens relativement fortunés. Le microcrédit ne s'oppose pas aux banques, c'est un service complémentaire.

Il en va de même des entreprises sociales à ses yeux. «Elles complètent l'action gouvernementale pour améliorer le sort des gens.»

-------------------

MUHAMMAD YUNUS EN QUELQUES DATES

28 juin 1940: Naissance à Chittatong au Pakistan oriental (aujourd'hui le Bangladesh)

1955: Première visite au Canada dans le cadre du Jamboree scout mondial

1970: Obtention d'un doctorat en économie à l'Université Vanderbilt

1971: Apporte son soutien à la guerre d'indépendance du Bangladesh

1976: Lance la Grameen Bank, axée sur le microcrédit

2006: Reçoit, conjointement avec la Grameen Bank, le prix Nobel de la paix

2008: Publie Pour une économie plus humaine, construire le social-business

2011: Quitte la Grameen Bank et lance le Yunus Centre