Les tatouages n'ont jamais été aussi populaires. Sont-ils pour autant plus tolérés? Pas si l'on se fie aux entreprises, de plus en plus nombreuses à en faire mention dans leur code vestimentaire.

François (nom fictif) arbore une dizaine de tatouages sur le dos, les épaules et les bras: un hibou, une tortue, un dragon, une montre à gousset, un réveille-matin, des personnages de dessins animés... «Ça représente toutes sortes de moments ou d'idées fortes dans ma vie», explique l'enseignant de 37 ans.

En classe, il tient à dissimuler ses tatouages, afin de ne pas distraire les élèves. «C'est une entente tacite avec mon employeur», dit-il. Mais il y a quelques mois, une nouvelle règle est apparue dans le guide du personnel: aucun tatouage ne doit être visible en tout temps. Pas même pendant les activités sportives où François avait pu, jusqu'à présent, se vêtir d'un t-shirt sans que cela fasse de vagues. «C'est ridicule!», s'exclame-t-il.

Des balises

Le patron de François n'est pas le seul qui tente de baliser le tatouage au travail. Au printemps 2013, l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) a mené un sondage auprès de 325 individus. Un peu plus du quart d'entre eux ont indiqué que le code vestimentaire de leur organisation mentionne les tatouages et les perçages. En 2007, ils étaient moins de 10% à affirmer la même chose.

«Comme le tatouage est de plus en plus populaire, les entreprises créent davantage de balises pour l'encadrer», observe Florent Francoeur, président-directeur général de l'Ordre des CRHA.

On estime que le quart des Américains sont tatoués. Au Canada, déjà en 2002, un sondage de La Presse Canadienne et de Léger Marketing révélait que 18% de la population arborait un tatouage.

Les organisations ont le droit de limiter la visibilité des tatouages, tant que leur démarche demeure justifiable et raisonnable. «Les employeurs peuvent exiger qu'un tatouage soit couvert s'il est de nature sexiste, raciste, violente ou s'il dénote une association au crime organisé», signale Alexandre Buswell, avocat spécialisé en droit du travail chez Heenan Blaikie.

«Les employeurs peuvent aussi le faire pour des raisons de santé et de sécurité, de même que pour protéger leur réputation, ajoute Florent Francoeur. Ils doivent faire preuve de transparence auprès de leur personnel en expliquant pourquoi ils agissent ainsi.»

Si la politique vestimentaire n'est ni raisonnable ni justifiable, on considère qu'elle enfreint les droits à la vie privée et à la liberté d'expression. C'est ce qui est arrivé en 2009 quand un juge de la Cour supérieure a autorisé les employés des centres de la petite enfance à montrer leurs tatouages au travail.

Généralement, les employés semblent bien s'accommoder des politiques vestimentaires, car selon Alexandre Buswell, «les tatouages ne sont pas une cause fréquente de litige».

Mais ce n'est pas toujours évident de camoufler l'art corporel. Certains travailleurs se font carrément détatouer, une opération très coûteuse. Carmen Tassé, propriétaire de Bye Bye Tattoo, remarque une augmentation des détatouages pour des raisons professionnelles. «Ça arrive très souvent, estime-t-elle. Surtout chez des femmes qui travaillent pour des institutions financières.»

L'employeur ne peut exiger qu'un employé se fasse détatouer, précise toutefois Alexandre Buswell. «La procédure pourrait porter atteinte à l'intégrité physique de la personne», note-t-il.

«Une question d'image»

Carmen Tassé l'avoue franchement: bien qu'elle travaille tous les jours avec des tatoués et qu'elle soit ouverte d'esprit, elle ne voudrait pas se faire servir par un employé percé et tatoué chez son concessionnaire automobile. «La personne est sans doute compétente, mais son tatouage peut déranger des clients. C'est une question d'image d'entreprise», affirme-t-elle.

Les préjugés ont la vie dure. «On associe encore le tatouage au manque d'éducation, à la malhonnêteté, à la rébellion», déplore François.

Bien qu'aucune entreprise ne le crie haut et fort, le tatouage demeure un frein à l'emploi. «Cela dépend du poste et du milieu de travail, remarque Florent Francoeur. Mais il est évident qu'un tatouage visible pourrait départager deux candidats idéaux. Parce qu'en embauche, on ne choisit pas. On élimine.»