La femme est-elle un loup pour la femme au travail, tel que le suggère un essai américain signé par deux consultantes en management? Des auteures québécoises se sont aussi penchées sur le sujet tabou pour montrer comment l'estime de soi et les rapports de pouvoir influaient sur les relations entre femmes au travail. Et si c'était vrai?

Le commérage, la médisance, le sabotage, la formation de cliques sont-ils le seul fait des femmes au travail? C'est du moins ce que soutiennent Pat Heim et Susan Murphy dans l'essai La femme est un loup pour la femme. Pour ces consultantes de grandes sociétés américaines, les conflits au féminin sont dévastateurs et plus fréquents que les conflits au masculin.

Un avis que partage la conférencière Marthe St-Laurent. «Les conflits de travail entre femmes sont plus virulents que les conflits entre hommes ou entre un homme et une femme. Dans les plus hautes sphères hiérarchiques, où les enjeux sont plus grands, le désir d'éliminer l'autre est encore plus vorace», soutient l'auteure du livre Ces femmes qui détruisent les femmes.

Une thèse que rejette Ariane Ollier-Malaterre, professeure du département d'organisation et ressources humaines de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM: « Les femmes ne sont pas plus manipulatrices ou commères que les hommes. Des recherches indiquent qu'il y a peu de différence entre le comportement masculin et le comportement féminin au travail. Or, les conflits entre femmes sont plus visibles, parce qu'ils vont à l'encontre de la norme sociale. On attend d'une femme qu'elle soit consensuelle, tournée vers l'autre, plus sensible. On accepte l'agressivité ou les conflits de la part des hommes, mais ce n'est pas l'idée que l'on se fait d'une femme», affirme-t-elle.

Règlements de comptes

Plus de 50% de la main d'oeuvre active des pays industrialisés est féminine. Excellentes collaboratrices, les femmes sont souvent reconnues comme plus participatives et démocratiques que leurs homologues masculins. Pourquoi ne s'entendraient-elles pas entre elles?

«Les conflits naissent lorsqu'il y a un déséquilibre dans l'estime de soi et le pouvoir de l'une par rapport à l'autre, observe Louise Doucet, auteure de Femmes au travail: Déjouer les comportements assassins, pour lequel elle a interrogé 600 femmes. «Les femmes qui se sentent menacées vont user d'agressions indirectes, elles vont enlever du pouvoir à l'autre en la discréditant et vont chercher des appuis.»

Les différends qui en découlent sont lourds de conséquences, considère Mme Saint-Laurent: «J'ai reçu plusieurs témoignages de femmes qui sont en arrêt de travail, qui ont démissionné ou qui se sont fait congédier. Certains cas de harcèlement se retrouvent devant les tribunaux.»

À terme, c'est la profession féminine qui est menacée, suppose-t-elle. «Deux meilleures amies sont devenues rivales lorsqu'elles ont été promues au sein de la même entreprise. Le patron a fini par les congédier pour les remplacer par des hommes. Qu'adviendrait-il si toutes les femmes travaillent à domicile parce qu'elles ne se tolèrent plus?»

Mme Ollier-Malaterre réfute cette théorie: «On entretient le stéréotype de la femme incapable de gérer ses émotions. Les femmes n'ont pas une moins grande intelligence émotionnelle que les hommes.»

La professeure reconnaît toutefois que certaines leaders qui évoluent dans un milieu majoritairement masculin ont parfois la vie dure. «Ces femmes ont dû faire de nombreux sacrifices. On observe deux types de réactions: elles sont des mentors extraordinaires qui facilitent le cheminement des plus jeunes femmes ou alors elles en font baver comme elles en ont bavé.»

Travailler ensemble

Apprendre à connaître ses collègues, se fier à son propre jugement et soigner son estime de soi. Ce sont les recommandations de Louise Doucet pour éviter les conflits de travail. La professeure Marthe Saint-Laurent insiste, pour sa part, sur le rôle du gestionnaire dans la prévention et la sortie de crises: «Les chefs devraient interroger leurs candidats sur la gestion des conflits interpersonnels lors des entrevues d'embauche, sonder annuellement la satisfaction des employés et rencontrer ceux qui changent d'attitude ou ralentissent», dit-elle.

Développer la confiance

«Que ce soit entre femmes ou entre hommes, le gestionnaire doit intervenir lorsque le conflit met en péril le service à la clientèle, le climat ou la cohésion de l'équipe, soutient pour sa part la professeure Ollier-Malaterre. Il a tout intérêt à développer la confiance au sein de son équipe, à faire circuler l'information et à développer une relation avec chaque employé», résume-t-elle.