Que fait un boutefeu? À quoi ressemble le quotidien d'un animalier ou d'un détective privé? Pour le savoir, La Presse les a rencontrés pour vous. Regard sur des métiers inusités, rares ou méconnus.

Gail Boisvert a du flair et du goût. Et elle s'en sert quotidiennement dans son travail. Orange, chocolat, fromage bleu: l'aromaticienne est la spécialiste des sens. Elle crée ou reproduit les saveurs qu'on trouve dans les aliments, les boissons et les médicaments.

Gail Boisvert travaille depuis 23 ans pour la société Kerry, à Granby. C'est un hasard qui l'a menée là, puisqu'elle voulait plutôt faire carrière dans les produits laitiers.

«J'ai étudié à l'Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. En 1989, j'ai été engagée pour l'été au centre de recherche d'Agropur [où elle avait également fait son stage]. J'ai ensuite postulé un autre poste, mais je ne l'ai pas eu», raconte-t-elle.

L'entreprise laitière l'a néanmoins recommandée à Kerry. Elle y a fait son entrée en 1990, au contrôle de la qualité. Gail Boisvert a petit à petit grimpé les échelons, passant de la recherche et du développement à son poste d'aromaticienne. «La recherche, les molécules, la chimie: j'ai ça en moi depuis toujours.»

Essais et erreurs

Chaque jour, Gail Boisvert joue avec les saveurs. Diverses entreprises - boulangeries, confiseries, fabricants de boissons, sociétés pharmaceutiques, etc. - demandent à Gail et aux deux autres aromaticiennes de dupliquer la saveur d'un produit ou d'en créer un nouveau.

Les molécules aromatiques, les extraits et les jus sont ses outils. Goutte après goutte, elle mélange les saveurs et fait des ajustements jusqu'à ce qu'elle recrée celle dont elle a besoin. Elle goûte la mixture et la sent à chaque étape. Selon le produit, le processus prend de huit heures à quelques jours.

Ensuite, direction salle sensorielle. «Dans cette pièce sombre, où l'éclairage et l'odeur sont contrôlés, je soumets mes collègues à des tests à l'aveugle», explique Gail Boisvert. Ceux-ci goûtent le vrai produit et sa copie. S'ils ne peuvent pas faire la différence, elle peut dire mission accomplie!

Sens aiguisés

«Je me sers de mes sens sans arrêt. Une grippe, c'est ma mort! souligne Gail Boisvert. Il ne faut pas non plus être difficile, car on goûte à tout. Idéalement, on ne doit pas avoir d'allergies, pour la même raison.»

Les allergies ont d'ailleurs modifié son travail. «Depuis quelques années, Kerry met au point seulement des produits sans allergènes. Si un client veut reproduire une crème glacée aux pistaches, par exemple, j'achète le produit chez moi et j'essaie de mémoriser le goût avant de partir au travail.»

D'ailleurs, l'aromaticienne est toujours fière de voir un de «ses» produits au supermarché. «La seule chose, c'est que je ne peux pas le dire à personne. Je suis tenue au secret.»

Reconnaissance

Il n'y a pas de formation d'aromaticien au Canada. Pour porter le titre, il faut réussir l'examen de la Society of Flavor Chemists (Association américaine des aromaticiens), à New York. Après de nombreux efforts, Gail Boisvert a été reconnue comme apprentie en 2001. Depuis 2003, elle est aromaticienne principale.

Les compétences de Gail Boisvert sont bien connues de ses pairs. Un aromaticien du Mexique et un autre des États-Unis ont notamment fait le voyage jusqu'à Granby pour recevoir de la formation. Certains clients réclament aussi les services de celle qu'ils appellent la «magicienne des saveurs».

«Après 23 ans, les clients sont surpris de mon enthousiasme toujours renouvelé. Même quand je ne travaille pas, ma tête est au boulot. Je n'arrête jamais», assure-t-elle. C'est ce qui s'appelle avoir la flamme.