Fréquenter les médias sociaux, échanger des courriels ou des textos à des fins personnelles alors qu'on devrait être en train de bosser, n'est-ce pas là du vol de temps? Oui, dans la mesure où il y a de l'abus. Et non, parce que les nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) peuvent parfois être à l'avantage des employeurs.

Selon Simon-Pierre Hébert, avocat spécialisé en droit du travail chez McCarthy-Tétreault, cela ne fait aucun doute: les médias sociaux, les courriels et les textos sont plus que jamais à la base du «cyberflânage», c'est-à-dire de la perte de temps durant les heures de travail.

«Surtout avec les téléphones intelligents qui, à mon avis, sont la nouvelle tendance, dit-il. Autrefois, un employeur pouvait facilement savoir si son employé avait surfé sur Internet ou envoyé des courriels avec les outils appartenant à l'entreprise. Mais avec un téléphone personnel, c'est devenu pratiquement impossible.»

Politique et code de conduite

Dans un texte récemment publié à l'intention des avocats, Me Hébert souligne que «les pertes de productivité découlant de l'utilisation des médias sociaux par les employés au travail ne font que commencer à être mesurées, mais une étude menée en 2008 par le Dr Richard Cullen estimait qu'un seul employé qui passait une heure sur Facebook chaque jour coûtait environ 6000$ par année à une entreprise.»

Le phénomène doit donc être pris très au sérieux. C'est pourquoi, à l'instar des autres spécialistes à qui nous avons parlé, Simon-Pierre Hébert recommande aux entreprises de rappeler à leurs troupes ce qui est toléré ou non. «Avoir un code ou une politique interne, ça aide quand on se retrouve devant un arbitre ou un commissaire. Mais encore faut-il bien le communiquer à ses employés.»

À Hydro-Québec, chaque nouvel employé reçoit une copie du Code de conduite qui traite des questions de l'utilisation d'Internet en milieu de travail depuis 2001. Celle des médias sociaux y est abordée depuis 2012, selon Isabelle Thellen, porte-parole.

Chez Desjardins, plus important employeur privé au Québec avec ses 44 000 travailleurs, il existe une politique interne quant à l'utilisation du matériel informatique mis à la disposition des employés. Un aide-mémoire a même été rédigé ces derniers temps au sujet des médias sociaux.

Selon André Chapleau, directeur principal, relations de presse, il n'y a pas de «restrictions fondamentales» chez Desjardins. «Tout dépend de l'endroit où l'on travaille, dit-il. Il y a certaines filiales où l'usage est plus restreint, notamment dans les caisses. On s'attend à ce que nos gens agissent de façon responsable. Tout est une question de gros bon sens.»

Une employée de Desjardins, qui préfère taire son nom, nous a expliqué que, sur son poste de travail, l'accès à Facebook, Hotmail, Gmail, mais aussi à des sites sur les voyages et la cuisine, a été bloqué. «Ça peut se comprendre, car il y a eu de l'abus dans le passé. Il y a même des étages où les téléphones intelligents sont proscrits. Toutefois, dans la salle de repos, il y a quelques ordinateurs à la disposition de tous et avec lesquels on peut naviguer librement», dit-elle.

Selon Urwana Coiquaud, de HEC Montréal, l'interdiction systématique peut être une erreur. «Il faut nuancer. Il y a parfois perte de temps, mais il y a aussi gain de productivité. Les nouvelles technologies de l'information et des communications facilitent les communications internes et externes. Un employeur peut facilement rejoindre un employé, même quand ce dernier est chez lui, au repos.»

D'ailleurs, ajoute la professeure agrégée au Service de l'enseignement de la gestion des ressources humaines, il devient de plus en plus difficile de tracer la ligne entre la vie privée et la vie professionnelle. «La frontière du temps de travail est à mon avis l'un des principaux enjeux du XXIe siècle dans le monde de travail»

Mme Coiquaud invite par ailleurs les employeurs et les employés à déterminer ensemble ce qui est un usage raisonnable ou abusif des NTIC.

Certains médias ont rapporté dernièrement que des entreprises sont même allées jusqu'à bannir l'utilisation des courriels en milieu de travail, tellement ceux-ci faisaient perdre un temps fou à leurs employés. Mais ces mêmes entreprises ont remplacé les courriels par des médias sociaux internes. Bref, on n'y échappe pas!

Comment les entreprises peuvent-elles mieux gérer l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) en milieu de travail? Surtout depuis l'avènement des médias sociaux et des textos. Urwana Coiquaud, professeur à HEC Montréal, fait trois recommandations.

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MODE D'EMPLOI

1. Bien comprendre dans quel type d'organisation son entreprise évolue avant de prendre position. Une agence de publicité et un centre d'appels sont deux modèles organisationnels complètement différents qui ne devraient pas gérer les NTIC de la même façon.

2. Communiquer ses attentes et ne pas hésiter à les rappeler. Les employés doivent clairement savoir ce qui est raisonnable. Établir des frontières entre ce qui nuit et ce qui est profitable dans l'utilisation des NTIC.

3. Éviter d'en venir à une surveillance systématique. Introduire la surveillance peut générer un climat malsain, ce qui n'est pas toujours à l'avantage de l'entreprise. Il existe déjà plusieurs méthodes de surveillance au quotidien. Faut-il en ajouter d'autres?