Graphiste/blogueur/créateur de bijoux, comptable/éleveur de chinchillas ou serveuse/étudiante/bédéiste. Les slashers - qui font référence au signe typographique de la barre oblique - se définissent par plus qu'un seul emploi ou une seule fonction, et ils sont de plus en plus nombreux.

Précarité du travail et nouvelles technologies

«Cumuler plusieurs emplois n'est pas un phénomène nouveau. Mais, depuis 1973 et la fin de la période de prospérité des Trente Glorieuses (de 1945 à 1975), le travail a connu d'importantes mutations, l'accessibilité à un emploi stable traditionnel s'est réduite et le fait d'avoir plusieurs professions n'est plus marginal», explique Jacques Hamel, professeur titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal.

«Le développement des nouvelles technologies et l'émergence de nouveaux secteurs d'activité ont ouvert la porte grande à ce genre de cumul». L'internet et les téléphones intelligents bouleversent la manière de travailler des gens. Une part importante du travail d'un salarié qui fait du 9 à 5 dans un bureau peut se faire à distance, à partir de la maison ou en déplacement. Un critique musical/disquaire peut prendre contact avec ses clients en attendant le début d'un concert.

Liberté et épanouissement personnel

Si le phénomène slash est favorisé par la crise économique, la précarité du travail et la perte de valeur des diplômes, c'est aussi pour beaucoup de jeunes, ou moins jeunes, un choix de vie.

Tara, 29 ans, est employée de Parcs Canada/musicienne/étudiante. Elle joue de la guitare, de la basse et du piano dans plusieurs groupes et étudie à temps partiel à l'Université Concordia, à Montréal. «Je ne peux pas m'acheter une maison ou une voiture. Je n'ai pas de sécurité financière. Mais malgré la situation économique difficile, je pourrais facilement trouver un emploi à temps plein si je le voulais, estime-t-elle. J'ai fait ce choix et ça me permet de faire ce que j'aime - c'est-à-dire ma musique - et de faire des tournées.»

Pour Jacques Hamel, la génération slash est le reflet de la société occidentale en général, toujours en mouvement. «On doit être actif en permanence, on redoute l'ennui et la routine. On ne veut pas rester toute sa vie dans la même entreprise avec le même emploi. La vie sociale change continuellement et la multiplication des activités est devenue une valeur», estime-t-il.

«C'est aussi un moyen de se singulariser, d'être unique, de se construire et de se définir par soi-même, et non plus par rapport aux valeurs familiales, à l'école», ajoute Jacques Hamel.

Les slashers et les employeurs

La génération slash est une force de travail intéressante pour les employeurs. Le fait d'avoir plusieurs emplois démontre une grande flexibilité, ainsi qu'une capacité d'adaptation et d'organisation importante.

Malgré la multiplication des slashers, les recruteurs ne voient pas toujours d'un bon oeil les CV éclectiques. Certains craignent que les emplois ou occupations en parallèle ne soient des distractions. «Les employeurs peuvent aussi redouter le manque de loyauté des membres de la génération slash. Ceux-ci sont souvent plus prompts à quitter un emploi qui ne les satisfait pas, ils passent rapidement à autre chose», remarque Jacques Hamel.

Jany Fortin Hamann, recherchiste en acquisition de talents pour une firme de génie-conseil, croit que la perception par les employeurs de la génération slash dépend principalement du secteur dans lequel la personne travaille. «Dans certains secteurs d'activité, comme la traduction ou le journalisme, les contrats et les piges sont fréquents. Le recruteur comprend et peut faire la part des choses», explique Mme Fortin Hamann.

Mais dans d'autres domaines, il faut sécuriser l'employeur. «On peut, par exemple, lui expliquer qu'on est maintenant prêt à s'engager à long terme. Dans tous les cas, il faut toujours dire qu'on cumule plusieurs emplois, expliquer ses raisons et objectifs, et tourner la situation à son avantage», conseille Jany Fortin Hamann.