Les cadres, les employés de bureau, voire les journaliers, devraient-ils davantage travailler ensemble?

Absolument, disent Alain Gosselin, professeur à HEC Montréal, et Manon Daigneault, consultante en ressources humaines. Surtout au moment où l'innovation, la pénurie de main-d'oeuvre et l'épuisement professionnel occupent beaucoup de place dans les entreprises et les organisations. Mais attention, la collaboration n'est pas une fin en soi.

Faire travailler ensemble des services et inciter les gens à partager leurs bons et leurs mauvais coups ne sont pas des idées qui datent d'hier. Toutefois, l'évolution du marché du travail et l'arrivée massive des membres de la génération Y ont rendu la collaboration plus pertinente que jamais.

«Les jeunes ont étudié dans l'environnement du web 2.0. La collaboration est donc naturelle chez eux. Quand ils arrivent chez un employeur et que ça ne fonctionne pas ainsi, c'est bien dommage, mais ils changent d'emploi», croit Alain Gosselin, professeur titulaire au Service de l'enseignement de la gestion des ressources humaines.

Selon lui, la collaboration «brise les silos». Elle favorise le partage des meilleures pratiques. Elle permet l'instauration d'un environnement de travail plus efficace et plus stimulant, donc plus agréable.

«Et cela est particulièrement important alors que le mot innovation est sur toutes les lèvres. Derrière chaque innovation, il y a toujours des exemples de collaboration. L'idée, c'est de ramener les décisions le plus près du terrain, que chaque département ou service s'engage. Il doit cependant y avoir une volonté de la haute direction. S'il y a de la chicane entre les directeurs, c'est bien mal parti», dit Alain Gosselin, qui donne justement un cours sur la collaboration dans le cadre du EMBA McGill-HEC Montréal.

Dans le contexte actuel de pénurie de main-d'oeuvre, la collaboration est devenue un outil pour attirer et retenir les meilleurs, croit Manon Daigneault, associée, consultante et formatrice chez Réseau DOF de Montréal.

«Les gens cherchent des emplois où ils vont pouvoir se développer. Ils veulent oeuvrer dans un environnement de travail agréable, où on leur exprime de la considération. Il y a 15 ou 20 ans, les employés se disaient: j'aime mon travail, mais l'ambiance est pourrie. Actuellement, les gens quittent leurs fonctions pour moins que ça. Le marché de l'emploi est donc en faveur des travailleurs. Et pas juste dans la haute direction, mais à tous les échelons», dit-elle.

Par conséquent, l'époque du patron qui dicte ses ordres de façon unilatérale est révolue, croit Manon Daigneault. «Les boss autoritaires sont justement ceux qui disent que la collaboration est quelque chose d'ingérable», dit la conseillère membre de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec (CRHA).

Notion de performance

Si la collaboration se fait plus présente dans les entreprises et les organisations, n'est-il pas ironique de constater que l'épuisement professionnel n'a jamais été aussi fréquent qu'en ce moment?

«C'est l'envers de la médaille. La notion de performance est encore très présente dans le marché du travail. J'aime croire que la collaboration est un pas dans la bonne direction, qu'elle peut apporter des solutions. Par exemple, les membres de la direction qui croulent sous les responsabilités et qui se sentent isolés oseront peut-être appeler à l'aide», estime Manon Daigneault.

Enfin, même si elle compte son lot d'avantages, la collaboration n'est certes pas une panacée, croient les deux spécialistes en ressources humaines. «Il faut exercer un certain jugement et ne pas y avoir recours de façon systématique, car il y a un coût en temps. Il faut choisir ses projets, ses priorités. Est-ce bon, par exemple, dans un contexte de crise? Si c'est trop long et trop coûteux, sans doute pas», dit Alain Gosselin.

«Penser que tout le monde doit être autour de la table est un piège à éviter. Il faut respecter les expertises et les responsabilités rattachées aux gens et aux équipes. Mettre l'accent sur le climat de travail au détriment des résultats à atteindre est une erreur. Ça devient un club social et non plus une équipe de travail», soutient Manon Daigneault.

Trois façons de faire

Selon Alain Gosselin, de HEC Montréal, développer une culture de collaboration dans une entreprise ou une organisation peut se faire de trois manières:

1. Avoir un objectif ou des projets communs. Par exemple, si on veut réduire le temps entre une idée et la mise en marché d'un produit, il doit y avoir des échanges. Au lieu qu'il y ait des départements qui fonctionnent en vase clos, il faut construire une chaîne, un processus continu.

2. Avoir un langage propre à la collaboration. La plupart des gens s'expriment avec le «je» ou le «moi». C'est très différent quand on dit «nous». Il faut privilégier le «Nous avons un problème», plutôt que «C'est quoi, ton problème?».

3. Bâtir des réseaux d'information entre les gens et les différents services. Qui fait quoi? Apprendre ce que font les autres. On brise les silos en mettant les gens ensemble. Il faut créer des occasions transversales, diffuser les bons coups.