On parle beaucoup d'intimidation à l'école depuis quelques années. Mais ceux qui ont intimidé leurs camarades, une fois dans le monde adulte, ne laissent pas tous tomber leur vilain comportement. Selon un sondage CROP réalisé pour l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), 29% des travailleurs ont été témoins d'intimidation dans leur milieu de travail au cours de la dernière année.

Lorsqu'on demande aux répondants s'ils ont eux-mêmes été victimes d'intimidation, 42% indiquent qu'ils en ont vécu au moins une fois au cours de leur carrière. Fait étonnant: ce chiffre grimpe à 50% chez les travailleurs dont le revenu annuel du ménage dépasse 100 000$.

«Dans un environnement de travail hautement compétitif, on encourage cette compétition entre les employés. Les gens expriment leur stress de différentes façons. On observe aussi que les intimidateurs au travail et leurs victimes sont les mêmes qu'à l'école», dit Florent Francoeur, président de l'Ordre des CRHA.

Nadia G. Michaud en sait quelque chose, elle qui a été intimidée pendant sept mois par son ancien directeur de succursale. «Il avait un comportement non éthique envers l'entreprise et me disait régulièrement: «Si tu me dénonces, je vais m'arranger pour que tu sois congédiée. Que je ne te voie jamais parler de cela au patron, sinon tu vas voir à qui tu as affaire».»

Heureusement pour elle, l'histoire s'est bien terminée. Le grand patron, à l'occasion d'une conversation téléphonique, lui a ouvert une porte afin qu'elle dise enfin la vérité. Elle a conservé son emploi et le directeur a été congédié. Mais le patron était mécontent.

«De telles menaces sont inacceptables, mais j'aurais souhaité que tu m'en parles avant, car l'entreprise a perdu de l'argent à cause de ça», lui a-t-il dit. Mais Nadia n'avait pas osé.

«J'avais peur de ne pas être crue et d'être ridiculisée. Avec du recul, je pense que si je n'osais pas parler, c'est parce que je me sentais en quelque sorte inférieure à ces deux hommes, et je me sentais honteuse parce que je ne pouvais pas m'affirmer. Je vivais dans la peur de perdre mon emploi au lieu de penser à mon intégrité et à mon estime de soi, alors que j'aurais dû davantage me respecter», dit-elle.

«En cas d'intimidation, on ne devrait pas hésiter à en parler à son supérieur, et si c'est le supérieur qui nous intimide, on doit en parler au service des ressources humaines ou à quelqu'un du conseil d'administration, dit Florent Francoeur. L'entreprise a l'obligation de prévoir des mécanismes pour protéger les employés de l'intimidation ou du harcèlement en vertu des dispositions sur le harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail.»

Toutefois, il existe encore des histoires qui se terminent mal quand le personnel en place connaît mal la loi, ou fait mal son travail, comme dans le cas de Carole M.

«Mon supérieur immédiat est venu trois fois piquer des colères dans mon bureau pour des raisons qui ne relevaient pas du tout de mes responsabilités, raconte-t-elle. Après la troisième fois, j'en ai parlé à la responsable des relations humaines, qui m'a répondu: «Ce que tu me dis n'est pas possible, c'est un bon gars! Je pense que c'est lui qui a raison et que tu n'es pas la bonne personne pour ce poste».»

Carole a fini par perdre son emploi. Seule consolation: la responsable des ressources humaines a elle aussi été congédiée quelque temps plus tard... pour incompétence!

Les coûts de l'intimidation

Selon le sondage CROP-CRHA, 30% des répondants qui ont fait l'objet d'intimidation au cours de leur carrière se sont déjà absentés du travail pour cette raison. Mais l'intimidation peut aussi engendrer du présentéisme, c'est-à-dire le fait d'être présent au travail sans y être disposé.

«Je vivais beaucoup d'émotions négatives à cause de ma situation, et cela a eu un impact certain sur la qualité de mon travail, dit Nadia. Les employeurs devraient créer des liens de confiance avec les employés pour qu'ils sentent qu'ils ont le droit de s'exprimer et sachent qu'en cas de problème, ils seront écoutés.»

Pour elle, l'intimidation était la continuité d'un mécanisme déjà vécu à l'école. «J'ai été éduquée à penser que les patrons sont supérieurs et que les autres ont toujours raison, dit-elle. Je crois au contraire que l'éducation devrait nous apprendre à nous affirmer et à nous défendre davantage. Si l'on est victime d'intimidation, il faut s'informer sur ce phénomène et en comprendre les causes pour apprendre à se faire respecter.»