Depuis un an, le CSSS de Chicoutimi cherche deux infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne - les super-infirmières, comme elles n'aiment pas qu'on les appelle.

Sans résultat.

«C'est très difficile à trouver, constate son conseiller en communication, Patrice Vachon. C'est une formation de haut niveau, elles ne sont pas des masses à sortir des écoles, et elles sont très attirées par les grands centres.»

C'est pourtant joli, Saguenay.

«Le CSSS de Chicoutimi a une mission universitaire, c'est donc un milieu d'enseignement et de recherche, décrit-il. On est un milieu très attractif. C'est vous dire à quel point on a des difficultés de recrutement.»

Il ne faut pas s'en surprendre: selon la toute dernière compilation du bulletin Infostats de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), qui paraîtra lundi, le Québec ne comptait au 31 mars 2012 que 149 infirmières praticiennes spécialisées (IPS), dont 96 en soins de première ligne. En Ontario, elles sont 2000.

Pour rattraper ce retard, le ministre de la Santé Yves Bolduc a ouvert en juillet 2010 une enveloppe de 150 millions, consacrée à la formation de 500 infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne.

L'effet a été instantané.

«Tout à coup, leur nombre a pris son élan, alors que dans les trois autres spécialités, ça a continué de stagner», observe Daniel Marleau, chef du service des statistiques sur l'effectif à l'OIIQ.

Sur les 150 infirmières présentement en formation ou en stage pour devenir IPS, 133 sont en soins de première ligne. À peine 17 s'intéressent aux trois spécialités mises sur pied à l'origine - spécialités dites hospitalières, en néphrologie, néonatalogie et cardiologie.

Au coeur du problème: l'argent, comme toujours.

Les médecins sont rémunérés par la RAMQ, alors que les salaires des infirmières relèvent des budgets des établissements de santé. «Quand on délègue des actes médicaux à une infirmière praticienne, tout à coup ça ressort au budget de l'établissement, alors que le médecin ne lui coûte rien, explique Daniel Marleau. C'est une des raisons qui font que les établissements de santé ne vont pas d'emblée créer des postes d'infirmières praticiennes, parce que ça s'ajoute à leur budget.»

Encore faut-il qu'il y ait des candidates. Pour que les universités acceptent d'ouvrir des programmes de formation, il faut que suffisamment d'étudiants se montrent intéressés. Et pour que ceux-ci acceptent d'y consacrer effort, temps, argent, il faut une garantie d'emploi minimale.

«On parle d'un bac de trois ans, plus une maîtrise de deux ans, plus un diplôme d'études supérieures d'un an, et ça implique des stages, énumère Gyslaine Desrosiers, présidente de l'OIIQ. Le réseau de la santé ne peut pas dire seulement qu'on en a besoin. Il faut un plan d'effectif du ministère de la Santé.»

Mais dès lors que les débouchés sont minimalement assurés, cet effort trouve sa récompense. «Ça ouvre un plan de carrière intéressant, c'est très valorisant, l'infirmière est responsable directement d'une cohorte de patients, il y a un niveau d'autonomie élevé», décrit Gyslaine Desrosiers. «Pour l'instant, on n'a que des échos positifs de ces infirmières.»

Le sens de la pratique

Infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne, Julie Thibault a 18 mois de pratique «derrière le stéthoscope», dit-elle, - hé oui, elles portent l'emblématique instrument.

«J'adore ça, et en plus, on a une très belle communication avec les médecins avec qui on travaille. Une fois qu'ils y ont goûté, ils ne peuvent plus se passer du rôle de l'IPS dans l'équipe. C'est très positif et c'est encourageant pour nous.»

Mais elles n'ont pas encore pu déployer complètement leurs ailes, employer au meilleur escient toutes leurs compétences. La pratique des IPS en soins de première ligne est encadrée - contrainte! - par une centaine de pages de directives et une liste restrictive de médicaments prescriptibles. «L'Ontario n'a plus du tout de lignes directrices et de listes de médicaments», fait valoir Julie Thibault, qui est par ailleurs vice-présidente de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec. «Ici on est obligées d'être liées à un médecin partenaire. Et on n'a pas le choix, en un sens, parce qu'avec les lignes directrices, je suis tellement limitée que je ne peux pas travailler seule.»

C'est déjà plus que ce à quoi peuvent prétendre ses collègues spécialisées en néphrologie, cardiologie et néonatalogie, dont le champ de responsabilités est encore très mal défini. «Elles n'ont pas de lignes directrices, décrit Mme Thibault. Chaque milieu doit rédiger la liste de ce qu'elles peuvent faire ou ne pas faire. Ça ne finit plus: il y a une fille qui travaille depuis cinq ans et ce n'est pas fait encore.»

Malgré tout, peu à peu, pas à pas, l'autonomie des IPS s'accroît, leurs responsabilités s'étendent.

«On n'est pas au niveau des autres provinces, mais ce qui est encourageant, c'est que tout le monde travaille dans le même sens, observe-t-elle. Je pense que ça va beaucoup bouger.»

Un long envol.

Aux États-Unis, 5% des infirmières peuvent exercer comme infirmière praticienne spécialisée (données de 2008). Au Canada, la proportion est de 1,2%. Au Québec: 0,1%.

Source: Infostats OIIQ