Désarroi, détresse, dépression.

Les éclopés psychologiques du travail sont légion.

Le mal-être est au travail de bureau du XXIe siècle ce que les doigts écrasés étaient au travail en usine du siècle dernier. «Aujourd'hui, les gens travaillent plus avec leur cerveau qu'avec leur corps, exprime Richard Matte, président de l'Association des professionnels en santé du travail (APST). Ils souffrent d'un tas de problèmes de tension, de mal-être, sont sous pression.»

Lors de son prochain congrès, au début du mois de mai, l'APST s'intéressera aux quatre plus importants problèmes de santé qui ont un impact sur les coûts ou la productivité au travail. Les problèmes psychologiques sont au premier rang, devant les problèmes cardiovasculaires, la douleur chronique, et enfin les cancers. «Près de 70% des employés se disent constamment stressés au travail», souligne Richard Matte.

Et le problème est en croissance rapide. Il y a une quinzaine d'années, on estimait qu'environ 30% de l'absentéisme était associé aux problèmes de santé psychologique. «Maintenant, les études européennes nous montrent qu'entre 50 et 60% des absences sont liées au stress au travail», indique Jean-Pierre Brun, directeur de la chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail à l'Université Laval.

Il voit deux causes à cette détresse. La première est une charge de travail croissante, souvent associée à un faible sentiment de contrôle. La seconde est le cumul des changements. «À l'heure actuelle, tout change constamment dit-il. Ce qu'on appelle en anglais le change fatigue, la fatigue du changement, est en train de s'installer.»

Les coûts du malaise

Certains font valoir que c'est là l'inévitable rançon de la compétitivité et de la productivité. Ou encore que la santé psychologique est une question individuelle qui n'est pas du ressort des employeurs. La facture des entreprises est pourtant très élevée.

«Une étude de Towers Watson a révélé que 7,1% de la masse salariale représente le prix à payer pour ne pas s'être attaquée aux problèmes liés au stress en milieu de travail», indique Mary Ann Baynton, directrice des programmes au Centre pour la santé en milieu de travail de la Great-West. «La majorité des réclamations pour incapacité à long terme ont une composante de santé mentale.»

Les problèmes de santé psychologique comptent pour environ 40% des prestations d'invalidité, selon l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes. Encore en 1990, ce taux n'était que de 18%. Ils représentent à présent la première cause d'absence prolongée du travail. Même lorsque le problème est d'abord physique, la question psychologique retarde fréquemment le retour au travail.

Pour tenter d'inverser la tendance, la Commission de santé mentale du Canada a annoncé en juin dernier la création de la norme volontaire Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail. Le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) et l'Association canadienne de normalisation (CSA) ont mis sur pied un comité pour l'élaborer. La présidente et directrice générale de la Commission, Louise Bradley, avait alors affirmé que le fardeau économique des troubles de santé mentale au Canada s'élevait à 51 milliards par année, dont près de 20 milliards liés à des pertes en milieu de travail.

Les avantages du bien-être

On commence à comprendre les bénéfices de l'entreprise à prendre en compte les questions de santé psychologique. «Quelques-unes des mesures, qui ont un effet significatif sur la santé psychologique, sont également de bonnes pratiques d'affaires», insiste Mary Ann Baynton.

Elle rappelle que l'American Psychological Association vient de publier une étude qui montre une forte corrélation entre les personnes qui se sentent appréciées et celles qui font du bon travail.

«Depuis 15 ou 20 ans, toutes les études à travers le monde montrent qu'on a intensifié le travail, mais que les organisations ne sont pas plus productives pour autant, constate pour sa part Jean-Pierre Brun. L'important est de s'assurer que les gens ont un travail de qualité. C'est très simple: quand les gens sont bien, le travail est plus efficace, et quand le travail est plus efficace, les gens sont bien. C'est un levier qu'on commence à peine à découvrir dans les entreprises: ce n'est pas juste en coupant des ressources qu'on améliore l'efficacité d'une organisation. En répondant aux besoins, en réglant ce qui ne marche pas, on obtient des gains d'efficacité importants et aussi des impacts significatifs sur l'absentéisme.»

Le bonheur fait de l'argent, en somme.