Le métier d'enseignant est exigeant et difficile, souvent critiqué. Mais c'est aussi une profession où les passionnés trouveront un défi à leur mesure.

Pour qui choisit cette voie, les perspectives sont favorables pour tous les ordres, mais c'est surtout au préscolaire, au primaire et au secondaire que les besoins se font le plus sentir.

Mais avant de devenir enseignant, il est important de se questionner sur ce que signifie enseigner au Québec, dans un régime public et subventionné.

Les experts en éducation ont-il la place qui leur revient dans leur milieu ou bien la politique s'invite un peu trop souvent sur les bancs d'école?

C'est ce que croient Sylvie Viola, directrice du programme en éducation préscolaire et primaire à l'UQAM, et 28 autres professeurs universitaires du milieu de l'éducation, signataires du Manifeste pour une école compétente.

Leur revendication: que les experts prennent la place à laquelle ils ont droit dans le monde de l'éducation. «On n'imagine pas une telle situation en médecine, par exemple. On en a assez! , déplore Mme Viola. À chaque fois qu'on change de gouvernement, on change de méthodes.»

L'éducation se spécialise

Comme le souligne la directrice, on a tous l'impression de connaître le métier de professeur, car nous sommes tous allés à l'école. Mais ne s'improvise pas enseignant qui veut!

«Il faut plusieurs compétences: être capable de s'adapter au pouls de la classe, avoir une démarche réflexive, posséder une bonne culture générale et s'exprimer dans un langue riche et variée», résume-t-elle.

Si par le passé le métier a été associé au cliché des deux mois de vacances l'été et à une certaine facilité, la réalité a changé.

«C'est plus exigeant et complexe être enseignant aujourd'hui., note Sylvie Viola. La profession a beaucoup évolué, s'est spécialisée et possède son propre vocabulaire. La formation continue est devenue incontournable. C'est plus difficile, mais beaucoup plus intéressant et stimulant pour ceux qui y croient.»

Cote R

Dans cet esprit, il faut désormais une cote R de 26,5 (auparavant 25) pour être parmi les 200 étudiants admis au bac en éducation préscolaire et primaire à l'UQAM.

«Il y a 10 ans, le bac en enseignement était considéré comme un cours facile, mais ce n'est plus le cas», soutient Mme Viola.

Et si toutes les universités qui offrent des bacs en enseignement n'exigent pas nécessairement une cote R minimale, elles ont toutes des seuils de contingentement à respecter. Ce sont donc les étudiants avec les meilleurs dossiers scolaires qui sont admis.

À SAVOIR

Pour enseigner au primaire ou au secondaire au Québec, il faut un brevet d'enseignement, qui est délivré par le MELS aux détenteurs d'un baccalauréat en enseignement. Depuis 2009, une note d'au moins 70%au test de français TECFÉE est obligatoire pour obtenir le brevet.

L'ÉDUCATIONAU QUÉBEC

72 commissions scolaires

1741 écoles primaires

427 écoles secondaires

194 écoles primaires et secondaires

48 cégeps

15 autres établissements collégiaux (écoles nationales, Conservatoires de musique, ITHQ, ITA, etc.)

24 collèges privés subventionnés

18 universités

Source : MELS

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Téodora Nadu

Sur le site ratemyteachers.com, des élèves affirment que Téodora Nadu, est «la meilleure prof de maths» de leur vie. Pour comprendre son équation secrète, La Presse l'a rencontrée.

Lorsqu'elle parle des maths (elle enseigne les maths fortes), ses yeux s'illuminent. «J'adore autant ma matière que les jeunes, dit-elle. Ma passion, c'est d'arriver à capter leur attention en leur expliquant un sujet de la façon la plus claire possible.»

D'origine roumaine, elle a d'abord obtenu sa maîtrise en mathématiques de l'Université de Bucarest, avant d'entreprendre sa carrière d'enseignante en 1987 en Israël. Elle a immigré au Québec trois ans plus tard où elle a obtenu son brevet d'enseignement.

En 20 ans à Jeanne-Mance, elle en a vu passer, des programmes de maths. Le plus récent changement est arrivé avec la réforme, il y a deux ans.

«Je trouve le nouveau programme très bien fait. Le monde change, on doit s'adapter», dit-elle, philosophe.

Motivée, la femme de 48 ans cherche toujours des nouvelles façons d'aider ses élèves. «Ça me stimule de faire le petit effort supplémentaire, d'essayer des nouveautés. Les jeunes le sentent et l'apprécient lorsqu'on travaille pour eux. Ils nous font confiance. Lorsque le courant passe, on peut tout faire!»

Malgré leur désinvolture apparente, les jeunes n'aiment pas échouer. Lorsqu'on porte attention à leurs difficultés, on peut faire une différence.

«J'apprends à connaître mes élèves en corrigeant beaucoup; je ne peux pas toujours dire si un élève a les yeux bruns ou bleus, mais je sais ce qu'il ne comprend pas dans les logarithmes!», conclut-elle en riant.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Téodora Nadu

Julie Doucet

«Si le préscolaire est souvent vu comme un jeu organisé, mon travail, c'est d'abord de faire aimer l'école et l'apprentissage aux enfants.» C'est en ces mots que Julie Doucet, enseignante au préscolaire à l'école Gentilly de Dorval, résume son métier.

C'est pour le plaisir de transmettre ses connaissances et pour la relation privilégiée avec les enfants que Julie a choisi ce métier. Celle-ci a amorcé sa carrière avant même la réussite de son baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire, en 2003.

Au-delà des rudiments en mathématiques ou en français, l'enseignant au préscolaire doit favoriser le développement global des élèves, en stimulant, par exemple, leur curiosité et leur initiative.

Les enseignants au préscolaire doivent posséder un sens de l'organisation hors pair. Il faut aussi être dévoué et s'attendre à faire des heures supplémentaires. «Quelqu'un qui compte son temps ne sera pas heureux dans ce domaine», estime Julie Doucet. Une bonne capacité d'adaptation permet en outre de bien gérer les imprévus. De la facilité à vulgariser ne nuit pas non plus. «L'humour est mon arme secrète, qui me permet de désamorcer les situations difficiles», ajoute l'enseignante.

Avoir une classe hétérogène semble toutefois exigeant. «C'est un défi de stimuler à la fois des élèves aux prises avec de grandes difficultés d'apprentissage et des enfants dits normaux», admet Julie Doucet. «Mais je conseille aux jeunes intéressés par la profession de ne pas se laisser abattre par les commentaires négatifs. Oui, il y a des années plus difficiles, mais il y a aussi des classes extraordinaires.»

Photo André Pichette, La Presse

Julie Doucet

Yves Nadon

La morosité ambiante, très peu pour Yves Nadon. Enseignant au primaire depuis

32 ans, l'homme de 54 ans rejette le portrait noir qu'on dresse souvent de la profession .«Je suis heureux en classe et je ne suis pas le seul à vivre de belles expériences!», dit-il.

Critique, allumé, à l'affût des pratiques éducatives les plus inspirantes, l'enseignant de première année à l'école Notre-Dame-du-Rosaire à Sherbrooke a fait de la lecture, de l'écriture et de la promotion de la littérature jeunesse son cheval de bataille.

Il a l'habitude de donner comme devoir aux... parents de faire la lecture à leur enfant à chaque soir.

«Il faut donner le choix aux jeunes de ce qu'il veulent lire et créer des conversations autour de ces lectures, dit-il. Arrêtons de vouloir qu'ils soient tous pareils!»

Dans sa classe, chaque élève a son «bac» avec des livres qu'il a choisis de la collection personnelle de M. Nadon. Chaque jour, une heure est consacrée à la lecture libre.

Dans la salle de classe, pas de pupitres, mais des espaces communs. Ici, une mezzanine qu'un parent l'a aidé à construire; là, un bain... où une petite fille est absorbée dans la lecture d'un livre. «La classe devrait être un lieu intéressant et beau, qui laisse place à la curiosité et où l'enfant peut se sentir bien . Voir un enfant qui commence à lire, des fois, j'en ai presque les larmes aux yeux! Personne d'autre n'est témoin de ces moments-là de pur bonheur... J'en reçois autant que j'en donne!», conclut-il, les yeux pétillants.

Photo Claude Poulin, La Tribune

Yves Nadon

Frédéric Plamondon

D'abord étudiant en philosophie à l'Université Laval, Frédéric Plamondon a pris quelques détours avant de devenir professeur au collégial: il a été barman, DJ, a voyagé... Des expériences qu'il est loin de regretter.

Après un retour réussi aux études, bac en philosophie en poche, il enseigne désormais au Cégep d'Alma. «Ces expériences me permettent de mieux comprendre mes élèves. Il ne faut pas oublier ce qu'est la vie à 18 ans! Les élèves sont généralement travaillants, ils ont juste de la difficulté à établir leurs priorités», dit-il en riant.

Enseigner un cours obligatoire du tronc commun au collégial comporte son lot de défis. «Je passe les trois premières semaines à déconstruire les préjugés des élèves: que la philo ne sert à rien dans la vie quotidienne, qu'il faut être d'accord avec le prof pour passer... Mon but n'est pas de former des philosophes, mais de donner des outils critiques qui leur permettront de faire des choix éclairés. Si un élève peut me critiquer ou la philosophie grâce à ces outils, ma job est faite!»

Il enseigne au collégial, termine sa maîtrise en philosophie du droit, et a une charge de cours compensatoire à l'Université Laval. Depuis trois ans, l'enseignant de 36 ans pose un regard lucide sur la profession.

«Les étudiants me choquent des fois, mais je ne leur en veux pas, dit-il. Développer des aptitudes critiques et analytiques, c'est long et compliqué, surtout dans notre société, où règne le clientélisme ambiant et où on enseigne aux jeunes que l'éducation ne sert qu'à avoir une job.»

Mais pas question pour autant de leur faciliter la tâche. Sévère, le prof?

«Il ne faut pas tomber dans la facilité pour se faire aimer, dit-il. Il faut rester exigeant et mettre la barre haute: les élèves ne savent pas de quoi ils sont capables!»

Photo Patrice Laroche, Le Soleil

Frédéric Plamondon

Monique Cormier

Passionnée des mots et de la linguistique, Monique Cormier a complété son baccalauréat et sa maîtrise en traduction avant de poursuivre son doctorat à l'Université Paris-Sorbonne.

Dès son retour, elle se retrouve chargée de cours à l'Université Laval à seulement 23 ans. Elle décide de faire une carrière universitaire, un véritable «choix de vie», constate-t-elle aujourd'hui.

L'enseignement universitaire demande une grande passion pour sa discipline et la transmission de celle-ci, explique

Mme Cormier.

C'est aussi une profession qui dépasse largement le cadre de la salle de classe. «C'est une activité complexe et multifonctions! Le professeur encadre des étudiants à la maîtrise et au doctorat et il s'engage aussi dans une carrière en recherche. Il contribue aussi à la vie universitaire et à la collectivité en apportant un éclairage aux débats de société», avance la terminologue agréée qui enseigne à l'Université de Montréal depuis 1988.

En mai, Monique Cormier est devenue la première femme à recevoir le Prix d'excellence académique de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université, qui souligne l'excellence dans tous les domaines de la vie universitaire.

Spécialisée dans les dictionnaires du 17e et 18e siècle, Mme Cormier croit que la mission du professeur d'université est aussi de partager ses connaissances avec le grand public. C'est dans cet esprit qu'elle a instigué en 2003 la Journée québécoise des dictionnaires, où des spécialistes des dictionnaires viennent partager leur savoir avec le public.

«Le travail de professeur d'université est exigeant et très prenant, mais on a aussi des conditions de travail appréciables. C'est très important pour moi qu'on puisse redonner à la société un peu de ce qu'elle nous a donné.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Monique Cormier

Isabelle Lafrance

Ennuyeux, la géographie et l'histoire? Que non, affirme Isabelle Lafrance, qui enseigne ces matières à l'école Monseigneur-Richard depuis 2003. «Ma spécialisation me permet de toucher les jeunes et de les émerveiller avec de nouvelles connaissances. Je ne sais pas si Pythagore a le même effet!».

Le métier d'enseignant au secondaire est peu routinier. «Oui, la matière est la même, mais chaque 75 minutes, un nouveau groupe réagit différemment et modifie la dynamique», assure Isabelle. Elle trouve toutefois difficile de se détacher de ses élèves. «Je voudrais que tout le monde réussisse, qu'ils s'en sortent tous. Malheureusement, ce n'est pas possible».

Au-delà de l'enseignement, ses tâches comprennent la planification du cours, le choix des sujets et la façon de les aborder, l'évaluation des élèves, la correction et les périodes de récupération. Elle doit également adapter sa feuille de route en fonction des groupes. «Le volet social (qui n'est pas vraiment abordé durant l'apprentissage des futurs enseignants) est aussi important : il faut être à l'écoute quand certains viennent se confier», dit-elle.

Il faut de la patience pour enseigner au secondaire, être généreux de son temps et de sa personne. Un sens de l'organisation et la capacité de travailler en équipe sont en outre essentiels.

À ceux tentés d'exercer son métier, Isabelle Lafrance donne ce conseil: «N'écoutez pas la croyance véhiculée sur la lourdeur de la tâche. Si ça vous intéresse et que vous avez les qualités requises, foncez!».

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Isabelle Lafrance