Bien des dirigeants rêvent parfois de se faire repérer par des gens de l'extérieur de leur entreprise qui viendraient leur offrir un poste important sur un plateau d'argent. Que ferait Henry Mintzberg, professeur à la faculté de gestion Desautels de l'Université McGill, s'il se retrouvait face à une telle offre? Il refuserait, sans hésiter.

«On ne peut pas diriger une entreprise sans bien la connaître», a affirmé à La Presse Affaires la sommité du management reconnue mondialement qui a publié récemment le livre Gérer (tout simplement) aux Éditions Transcontinental.

Le professeur explique dans cet ouvrage qu'on a tendance depuis quelques années à distinguer les leaders des gestionnaires. «Le leader, c'est quelqu'un qui a une vision, qui donne les grandes orientations, alors qu'un gestionnaire, c'est quelqu'un qui s'occupe des petites choses du quotidien.»

Si en théorie, on peut distinguer les deux, le professeur croit qu'en pratique, on ne peut pas. «On ne veut pas être dirigé par quelqu'un qui n'a pas de leadership, parce que c'est démotivant, et un leader qui ne gère pas l'entreprise dans le quotidien risque d'être déconnecté de ce qui se passe. Les dirigeants doivent à la fois être des leaders et des gestionnaires», affirme-t-il.

Dans son livre, Henry Mintzberg donne l'exemple de John Cleghorn, pdg de la Banque Royale du Canada, réputé au sein de son entreprise comme un type qui, en route pour l'aéroport, appelle au bureau pour signaler qu'un guichet automatique est en panne. Si la microgestion est souvent critiquée, le professeur de McGill croit que c'est plutôt des adeptes du macroleadership dont il faut s'inquiéter.

«On ne peut pas s'asseoir à la tête d'une entreprise sans comprendre ce qui s'y passe dans les détails. Pour avoir une vision d'ensemble, il faut commencer par le début, par les petites choses. Ensuite, on peut développer une vision d'ensemble.»

Le professeur croit d'ailleurs que la grande crise mondiale n'est pas économique, mais «managériale». «Les dirigeants des grandes banques et compagnies d'assurance américaines étaient détachés de ce qui se passait sur le terrain», affirme-t-il.

Pour prendre de bonnes décisions, le gestionnaire doit donc demeurer connecté sur les activités quotidiennes de l'entreprise et sur les gens qui y travaillent. Or, comme l'indique Mintzberg dans son ouvrage, «la gestion, en raison de sa nature, éloigne le gestionnaire de l'objet même de son travail».

Comment s'en sortir? «Il faut savoir qu'on est nommé non pas comme un dieu, mais comme une personne qui peut aider les autres à faire ce qu'ils font», indique-t-il.

Le mot-clé, c'est l'écoute, d'après les résultats des études réalisées par Henry Mintzberg. «Il faut développer une grande capacité d'écoute, dit-il. Il faut entendre les gens et accepter que les idées les plus intéressantes viennent souvent des ouvriers.»

Comment un dirigeant peut-il stimuler l'innovation et le partage des idées au sein de son entreprise? «Il suffit de créer une bonne culture d'entreprise, une communauté d'êtres humains, et non une collection de ressources humaines; je déteste ce terme d'ailleurs, précise le professeur. On n'est pas des ressources humaines, mais des êtres humains. Il faut respecter les gens et ils feront ce qu'ils doivent faire et ils penseront à l'amélioration globale de l'entreprise.»