En France, la société L'Oréal multiplie les efforts pour encourager la diversité: elle organise des forums d'emplois pour recruter des personnes de groupes ciblés comme des handicapés, des jeunes de zones urbaines sensibles ou des personnes de plus de 45 ans; dans les évaluations de performance des gestionnaires, elle s'assure d'intégrer des questions liées à la diversité.

Voilà ce qu'est venu confier Sylviane Balustre-D'Erneville, responsable diversité Europe chez L'Oréal, aux participants au congrès mondial de ressources humaines à Montréal cet automne.

Et dans votre société, la diversité fait-elle partie de la stratégie de l'entreprise?

«Bien souvent, on remarque qu'il y a une rupture entre le discours et les pratiques des entreprises en matière de diversité», remarque Marie-Thérèse Chicha, spécialiste de la diversité et professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal.

Pourquoi? «Il y a encore beaucoup de préjugés et de stéréotypes à l'égard des personnes d'origines étrangères, affirme-t-elle. Les gens ont peur de se faire demander des accommodements. Il y a même encore des préjugés envers les femmes.»

La chercheuse remarque toutefois que les dirigeants de certaines entreprises, souvent de très grandes entreprises, décident d'aller de l'avant pour développer la diversité. «Mais la difficulté, c'est que si la gestion est décentralisée, la vision n'est pas nécessairement relayée par tout le monde.»

Cette difficulté est réelle chez L'Oréal. «L'Amérique du Nord, l'Afrique du Sud et les grands pays européens sont les endroits où nous sommes les plus avancés. Par contre, au Moyen-Orient, en Amérique latine et dans le reste de l'Afrique, il nous reste beaucoup à faire. La diversité n'est pas intégrée partout de la même façon. Certains la voient encore comme une menace», affirme Mme Balustre-D'Erneville.

Plusieurs avantages

Si L'Oréal fait des pieds et des mains pour diversifier ses équipes, c'est parce que la multinationale y voit des avantages évidents.

«Nous avons des marques partout dans le monde et nous voulons comprendre les besoins spécifiques de nos différentes clientèles et y apporter des réponses. Nous n'encourageons pas la diversité pour faire la charité ou pour respecter les lois, mais pour apporter de la valeur ajoutée à L'Oréal qui souhaite aller chercher un milliard de nouveaux clients d'ici 2020 dans les quatre coins du monde», affirme Sylviane Balustre-D'Erneville.

Elle précise toutefois que diversité ne signifie pas diminution des exigences. «Les gens ne sont pas recrutés seulement parce qu'ils sont différents! Le critère numéro un d'embauche demeure la compétence.»

La grande firme de génie SNC-Lavalin mise également sur la diversité de ses équipes pour réaliser ses projets partout à travers le monde.

«Nous embauchons toujours beaucoup de ressources locales, des techniciens comme des ingénieurs. Souvent, nous les encadrons par des professionnels canadiens, mais il y a vraiment un échange qui se fait», affirme Charles Chebl, vice-président principal et directeur général, groupe bâtiment-Québec, SNC-Lavalin Construction.

Lors des différents projets qu'il a réalisés dans le monde, M. Chebl a vu que la formation d'équipes avec des ingénieurs qui proviennent de différents milieux et de différents pays permet de renforcer le savoir-faire. «C'est toujours bon d'avoir des ressources dans l'équipe qui connaissent les pratiques locales et la langue», indique M. Chebl, qui est né au Liban, mais qui a fait ses études au Canada.

Impliquer la haute direction

Une chose est certaine aux yeux de Marie-Thérèse Chicha: pour développer des pratiques qui encouragent la diversité, le message doit venir de la haute direction. Et elle doit mettre en place des outils et des formations pour aider les cadres à bien gérer la diversité.

«Il faudrait ensuite les évaluer sur leur capacité à diversifier les effectifs», précise-t-elle.

Chez L'Oréal, les évaluations de rendement prennent maintenant en compte les questions de lutte contre la discrimination. «La volonté de la haute direction est là, mais les défis sont toujours présents et la route à parcourir est encore longue. D'un pays à un autre, la diversité s'exprime différemment et il y a un travail pédagogique à faire.»

«Et pourquoi ne pas faire de la diversité une obligation au Québec comme on l'a fait pour l'équité salariale? questionne Mme Chicha. Parce que l'expérience démontre que souvent, s'il n'y a pas d'obligation, il n'y a pas grand-chose qui bouge. Et le fait de laisser de côté énormément de candidats diversifiés coûte très cher à la société.»

Par exemple, en 2004, le Conference Board du Canada estimait que les pertes attribuables à la non-reconnaissance des diplômes pour l'ensemble des travailleurs au Canada sont de l'ordre de 4,1 à 5,9 milliards de dollars annuellement.