Des travailleurs sans emploi et des emplois sans travailleurs. Inadéquation des talents, déficit des compétences, on donne différents noms à ce phénomène éventuel où le marché du travail se retrouvera avec bon nombre de candidats n'ayant pas les compétences pointues pour combler les postes offerts. Une tendance qui ira en grandissant, selon les experts.

« Au cours des 10 prochaines années, la création d'emplois viendra de l'économie du savoir. Des recherches au niveau provincial estiment qu'entre 65 % et 80 % des nouveaux postes créés d'ici cinq ans exigeront une éducation postsecondaire, affirme Gabriel Bouchard, président de Workopolis. Ce sont des métiers qui n'existent pas actuellement, et les gens qui sont formés dans les établissements actuels ne le sont pas nécessairement pour occuper ces emplois. Ces postes seront comblés par des gens capables de prendre leurs habiletés actuelles et les transférer dans d'autres secteurs. »

La région de Waterloo, en Ontario, est un bon exemple. On y retrouve la firme Research In Motion, qui a créé le BlackBerry. « Des centaines de postes sont disponibles, mais cette entreprise a des difficultés à recruter, car il n'y a pas suffisamment de travailleurs qualifiés dans cette région », dit Mario Charette, conseiller en orientation.

Autre exemple : les États-Unis. « Les chiffres récents indiquent qu'un nombre quasi record de postes sont disponibles, alors qu'en même temps, le taux de chômage est très élevé », dit Jeffrey Joerres, président et chef de la direction de Manpower.

Plusieurs raisons expliquent ce décalage entre les besoins du marché et les ressources humaines disponibles. D'une part, il y aura toujours un lot d'individus, qui, pour diverses raisons, auront choisi d'étudier dans un domaine moins recherché, ou pire, de ne pas étudier du tout. C'est ce que Mario Charette appelle le déficit des compétences. « On tient depuis toujours un discours dans lequel on souligne l'importance des sciences et des technologies, mais le message ne passe pas au Québec, dit-il. Nous avons aussi un problème avec les mathématiques. Les jeunes sont davantage intéressés par les arts, les lettres et les sciences humaines. C'est souvent ce qui les arrête de choisir des disciplines demandant d'être forts en mathématiques pour être acceptés dans un programme d'études. »

Toutefois, il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions, croit Normand Roy, directeur de l'analyse et de l'information sur le marché du travail au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale.

« On doit se préoccuper, au Québec, du fait que 23 % des étudiants quittent l'école avant d'avoir 19 ans, et qu'à 30 ans, 12 % d'entre eux n'ont toujours pas terminé leur cinquième secondaire, dit-il. On a une frange de la population qui est sous-scolarisée, d'un côté, mais de l'autre, on se rend compte qu'il y a aussi un peu plus du quart des Québécois qui sont surqualifiés pour l'emploi qu'ils occupent. Quand on regarde le chômage par rapport au niveau de scolarité, il est clair qu'aller à l'école donne des résultats, peu importe le domaine dans lequel on a étudié. »

Quand les diplômés se font dire non

Chez Manpower, on parle d'inadéquation des talents (talent mismatch). La firme a déjà publié des études à ce sujet. Même ceux qui détiennent un diplôme universitaire ne sont pas à l'abri, croit Jeffrey Joerres.

« On va se retrouver avec des emplois, qui, en apparence, semblent accessibles à qui détient le bon diplôme, mais ce dernier ne suffira plus, dit-il. Ce ne sera plus satisfaisant, par exemple, d'être un ingénieur mécanique. Il faudra être un ingénieur mécanique capable de travailler dans un environnement multiculturel et multigénérationnel, avec des aptitudes particulières pour apprendre vite et collaborer au sein d'une équipe. C'est pourquoi on verra des candidats se croyant qualifiés pour un emploi parce qu'ils ont le bon diplôme se heurter à des refus. »

Les organisations ont une meilleure capacité qu'autrefois à prédire avec précision ce dont elles auront besoin en termes de ressources humaines dans le futur, croit Jeffrey Joerres. Elles veulent recruter des candidats qui pourront apprendre et seront capables de s'adapter et pourront évoluer en fonction des changements à venir dans l'entreprise. En même temps, elles n'ont plus autant le temps et les ressources nécessaires pour former elles-mêmes leurs employés que dans le passé.

« La clé de la survie pour les travailleurs dans cet environnement est d'acquérir de nouvelles aptitudes transférables à différents domaines, comme en informatique ou en gestion. Ils devront démontrer qu'ils ont des capacités d'apprentissage et d'adaptation supérieures à la moyenne », dit le président.