Certains lancent leur petite entreprise malgré un ciel économique plombé. D'autres créent leur emploi parce que LEUR ciel économique est plombé. Que faut-il pour réussir? De la passion, avant tout. Du soutien, ensuite.

C'était son 50e anniversaire. Ce samedi 25 avril, c'était aussi l'inauguration de son bar à jus. France Pelletier n'avait aucune expérience en restauration. Mais elle avait de la détermination et de l'enthousiasme à revendre.

 

Son petit établissement vivement coloré s'appelle Cantaloup café, et on y voit des fruits partout. Des fruits frais dans les jus pressés. Des fruits sur les crêpes qu'elle sert au petit-déjeuner. Des fruits sur les toiles qui tapissent les murs, peintes par son conjoint et des membres de sa famille.

L'idée lui était venue presque deux ans plus tôt, à Barcelone, quand elle est entrée dans un établissement semblable. Ce fut une illumination. Elle cherchait une idée depuis quelque temps déjà. Aucune obligation. Le simple désir d'autre chose. «Après plusieurs années dans un domaine que j'ai beaucoup aimé, je me demandais si c'était ce que je voulais faire pour le restant de mes jours», raconte-t-elle.

D'abord une formation...

Au début 2008, elle s'est inscrite à une formation pour la mise sur pied d'une entreprise, donnée par le Centre d'entrepreneuriat féminin du Québec. «Suivre un cours de démarrage est peut-être la meilleure décision que j'aie prise, constate-t-elle. Mon conjoint m'a confié l'autre jour qu'il a commencé à me prendre au sérieux le jour où j'ai entrepris ce cours.»

C'est une formation de 12 jours en autant de semaines, typique de celles qui sont données un peu partout par divers organismes, la plupart du temps en lien avec la commission scolaire locale. «Par les temps qui courent, ça va devenir de plus en plus populaire», observe Marie Brouillet, coordonnatrice et enseignante au Centre d'entrepreneuriat féminin du Québec, elle-même entrepreneuse. «La seule chose qui m'inquiète: est-ce qu'on le fait pour les bonnes raisons? Il ne faut pas que ça soit par peur ou par dépit. Ce n'est pas donné à tout le monde d'être entrepreneur, d'être à son compte. Il y a peut-être de 8 à 10% des gens qui sont faits pour ça.»

Mais ne serait-ce que parce qu'il nous mène à la conclusion que notre fibre entrepreneuriale est trop ténue, ce cours n'aura pas été suivi en vain.

«Beaucoup de recherches le confirment, environ 40% des entrepreneurs sont encore en affaires après cinq ans s'ils se sont lancés sans préparation, indique à ce propos Louis Jacques Filion, titulaire de la chaire d'entrepreneuriat Rogers-J.-A.-Bombardier, à HEC Montréal. Mais les personnes qui se lancent avec préparation, c'est-à-dire avec un mentor, un encadrement, qui ont eu recours à des organismes comme des CLD ou des incubateurs, qui se sont fait un bon projet d'affaires, sont encore en affaires après cinq ans dans une proportion de 75 à 85%.»

...et de la passion

Selon Louis Jacques Filion, les meilleurs facteurs de succès demeurent l'expérience des affaires et l'expérience du secteur. France Pelletier, pour sa part, a refusé de se voir condamner par les statistiques. «Ce n'est pas vrai que ça prend nécessairement de l'expérience dans le domaine, s'exclame-t-elle. J'ai une expérience de vie et de travail qui me sert beaucoup. Quand tu te lances en affaires, il faut d'abord que ça te fasse plaisir à toi. Et il faut que ça paraisse dans ton plan d'affaires.»

Et sur ton visage, ajoute-t-elle. Avec raison.

«Juste de la façon dont Mme Pelleter parlait de son projet, tout le monde était gagné d'avance, confirme Marie Brouillet. Ça, c'est énorme!»

La suite de l'histoire l'a démontré. À la fin de la formation, les futures entrepreneuses ont présenté leurs projets devant une douzaine de personnes, mi-jurés mi-conseillers, parmi lesquels se trouvait Kathia Benchetrit, première directrice de compte à RBC Banque Royale. Elle aussi a été séduite, d'autant plus que, quelque temps auparavant, en passant dans la rue où France Pelletier a installé son commerce, elle s'était justement dit qu'il y faudrait un bar un jus.

À son invitation, France Pelletier l'a rappelée quelques mois plus tard, en décembre 2008. Elle avait fait ses devoirs et avait consacré plusieurs mois à bâtir un plan d'affaires en béton. Un bon point aux yeux de sa banquière... et de Louis Jacques Filion. «Les gens qui prennent le temps de faire une étude de marché, de parler à des clients potentiels et de réfléchir à leur affaire ont un point d'ancrage plus profond que les autres, fait-il valoir. Quand ils rencontrent les problèmes de la première année, ils sont beaucoup plus préparés.»

Les deux femmes ont alors parlé de crise économique. «Je l'ai poussée un petit peu, raconte Kathia Benchetrit en riant. Je sais que c'était un de ses rêves et elle était très inquiète, mais je connais mon marché. Je l'ai rassurée parce que j'y croyais.»

Un enthousiasme communicatif et rétroactif. Le prêt a été accordé.

Très souvent, les prêts aux entreprises en démarrage sont accordés dans le cadre du Programme de financement des petites entreprises du Canada. Ce programme permet à l'entrepreneur de ne garantir personnellement que 25% du prêt. Il doit verser un capital équivalent à 10% du projet «et avoir les reins solides», précise Mme Benchetrit, pour signifier qu'il doit avoir d'autres actifs en réserve.

La récession n'a pas restreint les projets d'entreprise: «Je n'ai jamais été aussi occupée», assure Mme Benchetrit. À RBC, le volume des prêts à la petite entreprise est de 6% plus élevé qu'à pareille date l'an dernier, selon le porte-parole Raymond Chouinard.

Puis un réseau

L'aventure a été aussi intense et ardue que France Pelletier s'y attendait. Mais elle a tout de même eu des surprises. Des mauvaises... «La pire a été les exigences de la Ville, à en avoir les bras ballants. Ça a engendré des travaux qui ont coûté les yeux de la tête», dit-elle. Et des bonnes... «La plus belle surprise a été de recevoir autant de soutien de tout le monde.»

Tous ces gens, elle les a invités à l'inauguration: la famille et les amis qui l'avaient aidée, l'entrepreneur qui avait fait les travaux, Marie Brouillet, Kathia Benchetrit, des collègues de cours... C'est ce qui s'appelle un réseau. Car c'est un autre conseil de France Pelletier: il faut s'entourer de gens qui peuvent aider.

«Je voulais être ma propre patronne et entreprendre, confie-t-elle enfin. On n'a pas de graine d'entrepreneur, dans ma famille.»

Elle est maintenant semée.