En cette période de réjouissances, les grands brasseurs dénoncent les prétendus passe-droits dont bénéficie la Société des alcools du Québec (SAQ) pour mousser ses ventes de vins et spiritueux.

Les brasseurs se plaignent que la SAQ ne soit pas assujettie à toutes les dispositions du règlement restreignant les promotions sur la vente d'alcool qui s'appliquent aux dépanneurs et aux épiceries.

Depuis 2015, les Québécois boivent davantage de vin que de bière. En 2016-2017, il s'est vendu au Québec pour 2,3 milliards de dollars de vin et pour 2,2 milliards de bière, d'après Statistique Canada. La tendance à la substitution de la bière par le vin est claire. Il y a 10 ans, il se vendait pour 1,6 milliard de vin et 2,2 milliards de bière dans la province.

Une des raisons derrière la popularité du vin pourrait bien être les efforts de marketing considérables que consacre la Société des alcools à la promotion de ses produits, avec ses rabais alléchants et sa carte de fidélisation Inspire.

La carte Inspire a été introduite le 1er octobre 2015. En 2017-2018, 855 000 clients de la SAQ ont échangé leurs points en échange de gratuités d'une valeur de 41,6 millions de dollars de produits d'alcool, bières incluses.

Molson, Labatt et Sleeman, par la voix de l'Association des brasseurs du Québec (ABQ), jugent inéquitable cet état de fait qui bénéficie à la SAQ. L'ABQ souhaite que le monopole d'État respecte les mêmes règles auxquelles sont soumis les détenteurs de permis d'alcool d'épicier.

« Comme fabricant, toutes mes promotions doivent être assujetties à la Régie des alcools. Par exemple, je fais une promotion de carte-cadeau avec Couche-Tard. Je suis obligé de soumettre ma promotion à la Régie, et la carte n'est pas monnayable en retour d'alcool. »

- Patrice Léger Bourgoin, PDG de l'ABQ, le lobby des trois grands brasseurs industriels

Du côté de la SAQ, on se défend bien de profiter d'un quelconque passe-droit. « Nos récompenses versées dans le cadre de la carte Inspire ne sont pas différentes de celles des programmes de fidélisation des supermarchés », dit Mathieu Gaudreault, des affaires publiques et communications à la SAQ.

Chez Metro, par exemple, « il est possible d'accumuler des points "m" avec de la bière ou du vin vendu en épicerie. Il est également possible d'utiliser la récompense émise quatre fois par année pour acheter des produits d'alcool, puisqu'il s'agit d'un mode de paiement », confirme Geneviève Grégoire, porte-parole de Metro, à propos du programme Metro et moi.

Chez PC Optimum (Provigo), par contre, « il est impossible d'échanger des points pour l'achat de boissons alcoolisées », écrit dans un courriel Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communications, chez Loblaw. Toutefois, les détenteurs de la carte de crédit MasterCard Le Choix du Président reçoivent des points sur le total de leur facture.

L'ABQ a rencontré La Presse le 29 novembre dernier, soit avant le début de la consultation privée que mène ces jours-ci la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) sur la révision du règlement en question. Comme tous les participants à la consultation, le PDG Patrice Léger Bourgoin a pris l'engagement de respecter la confidentialité des échanges entourant la révision du règlement.

Joint au téléphone le 20 décembre, M. Bourgoin a refusé de renchérir sur la position de l'ABQ en raison de cette entente de confidentialité. Il a toutefois pris soin de préciser que son organisme avait pris position formellement sur l'équité réglementaire entre les différents réseaux de commercialisation il y a 18 mois déjà.

Prix minimum

Dans le même ordre d'idées, la bière vendue en épicerie et en dépanneur est soumise à un prix minimum, notamment pour des raisons de santé publique. En comparaison, la bière, le vin et les spiritueux vendus dans les succursales de la SAQ ne sont soumis à aucun prix minimum.

« La SAQ respecte les prix minimums sur la bière par souci d'équité et à titre de bon citoyen corporatif », se défend la société d'État. 

En fait, toutes les provinces, sauf l'Alberta et le Québec, imposent un prix minimum sur l'ensemble des boissons alcoolisées. Au Québec, il y a seulement un prix minimum sur la bière, pas sur le vin ni sur les spiritueux.

Les titulaires de permis d'alcool d'épicier ou de dépanneur ne sont pas sans reproches. Le Conseil d'éthique de l'industrie québécoise des boissons alcooliques critique régulièrement le contournement du prix minimum sur la bière par ceux-ci, notamment au moyen de promotions croisées. Il n'a pas été possible de parler au Conseil d'éthique, son président Robert Dutton étant à l'extérieur du pays.

Pourtant, l'idée d'un prix minimum applicable à tous les types de boissons fait son chemin. En avril dernier, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) recommandait d'instaurer en priorité un prix minimum sur l'ensemble des boissons alcoolisées, en fonction d'un prix minimum par verre d'alcool standard.

« La fixation d'un prix minimum par verre d'alcool standard est la façon de restreindre l'accès à de l'alcool à bas prix [...]. Cette mesure tient compte de la teneur en alcool et évite ainsi la substitution d'une boisson vers une autre à meilleur marché », y lit-on.

L'INSPQ, s'appuyant sur les données du Centre canadien sur les dépendances et l'usage des substances, donne l'exemple dans son rapport d'un prix minimum par verre d'alcool standard de 1,71 $. Une telle mesure reviendrait à un prix minimum de 1,71 $ pour une bière de 341 ml tirant 5 % d'alcool et de 9,03 $ pour une bouteille de vin de 750 ml à 12 % d'alcool par volume.

Éduc'alcool fait sienne cette recommandation. Dans un entretien, Hubert Sacy insiste sur le fait que l'alcool, sous toutes ses formes, ne devrait pas se vendre à un prix trop bas. Sur la question des rabais et des programmes de fidélisation, l'organisme n'est pas nécessairement contre, dans la mesure où le rabais ne sert pas à acquérir l'alcool à un prix trop bas.

Éduc'alcool reçoit 3 millions par an en provenance d'un fonds alimenté par la SAQ, au nom de l'industrie québécoise des boissons alcooliques.

Sur le site SAQ.com, le 20 décembre, pas moins de 50 vins offerts dans des contenants de 750 ml ou de 1 litre se vendaient sous les 9 $.

À noter que le prix minimum actuellement en vigueur au Québec est de 1,11 $ pour une canette standard de 341 ml à 5 % d'alcool par volume.

Un enjeu qui a une portée économique

Le marché de la vente d'alcool est maintenant à maturité au pays, en raison du vieillissement de la population, entre autres. Dans ce contexte, la hausse des ventes d'un type d'alcool se fait au détriment d'un autre alcool.

« Assurer aux brasseurs de pouvoir vendre leurs produits dans des canaux de commercialisation soumis aux mêmes règles du jeu se défend sur le plan économique, a soutenu M. Bourgoin, de l'Association des brasseurs du Québec, le 29 novembre, puisque les retombées locales de l'industrie brassicole sont sans égales quand on les compare avec celles de l'industrie vinicole ou encore à celles des spiritueux. »

L'organisme a d'ailleurs entrepris une tournée panquébécoise cet automne pour souligner l'apport des grands brasseurs partout sur le territoire.

Selon les chiffres de l'ABQ, les trois grands brasseurs donnent du travail à 3170 personnes, dont 1000 à l'extérieur du Montréal métropolitain, réparties dans 32 établissements. Au total, Molson, Labatt et Sleeman ont accordé des contrats de 302 millions à 2236 fournisseurs québécois ; du nombre, 116,8 millions ont été payés à des entreprises situées à l'extérieur de Montréal. Environ 60 % des fournisseurs viennent de l'extérieur de la métropole québécoise.

Les brasseries versent annuellement 20 millions aux organismes à but non lucratif locaux à diverses occasions.