Et si, au lieu d'être avalé par le géant américain Lowe's, le fleuron québécois Rona s'était plutôt porté acquéreur de la division canadienne de son rival? Ce scénario aurait bel et bien été envisagé lors d'une rencontre entre les grands patrons des deux entreprises dans un restaurant du Vieux-Montréal en 2011.

L'ex-président et directeur général de Rona raconte cet événement dans son autobiographie intitulée «Mise à niveau», publiée jeudi. Robert Dutton revient sur les événements qui ont mené à son congédiement, puis au rachat du quincaillier par l'américaine Lowe's. Selon sa version des faits, c'est Rona qui a fait la première offre pour acquérir les actifs de son concurrent au Canada.

D'après son récit des événements, Robert Dutton a rencontré la haute direction de Lowe's dans un restaurant du Vieux-Montréal le 27 juillet 2011. Au cours de cette réunion, les dirigeants de Lowe's lui confient les difficultés rencontrées dans leur tentative de percer le marché canadien. Robert Dutton leur aurait alors proposé que Rona rachète leur division canadienne pour permettre au géant américain une sortie honorable du marché.

«Nous pourrions nous porter acquéreurs de leurs magasins canadiens avant qu'ils n'engloutissent encore des sommes colossales dans un développement qui est plus lent, plus coûteux et plus difficile qu'ils ne l'avaient prévu», écrit l'auteur.

«Nous sommes ouverts à un scénario qui leur permette de consolider une présence sur le marché canadien par l'entremise d'une participation importante, mais sans contrôle, au capital-actions de Rona», ajoute-t-il dans le bouquin.

Une deuxième rencontre est donc inscrite au calendrier le 12 août 2011 pour poursuivre la discussion. Cette fois, la direction de Lowe's change complètement d'attitude. Si elle était initialement ouverte à la proposition, ce n'est plus le cas.

Le vice-président principal aux activités internationales de Lowe's, Doug Robinson, prend la parole en premier. «Son discours a fait un virage à 180 degrés, écrit M. Dutton. Il nous annonce tout de go que Lowe's veut acquérir Rona.»

Les dirigeants de Lowe's semblent même pressés de procéder à la transaction.

Doug Robinson aurait fait miroiter d'«énormes avantages» aux membres de la direction pour que ceux-ci favorisent la transaction. Au départ, Lowe's n'était intéressée que par les quincailleries de grande surface et aurait proposé de rétrocéder les magasins de petite taille à Rona. Un scénario irréaliste, de l'avis de Robert Dutton.

Ce dernier rapporte qu'il revient à la charge avec son offre. Il propose de racheter «tous les Lowe's rentables au Canada» en plus d'offrir une participation minoritaire dans Rona. La rencontre se termine donc mal et Robert Dutton quitte avec le sentiment que Lowe's va tenter sa chance de mettre la main sur Rona avec l'appui d'importants actionnaires.

Pour contrer une éventuelle offre d'achat hostile de Lowe's, Robert Dutton entreprend de rassembler une minorité de blocage. Cela consiste à obtenir l'appui d'actionnaires détenant 34 pour cent des parts de l'entreprise pour bloquer toute tentative de prise de contrôle.

Avec l'appui de la Caisse de dépôt et placement du Québec, d'Investissement Québec, du Fonds de solidarité de la FTQ et des marchands affiliés et franchisés, le PDG consolide sa minorité de blocage. C'est ce qui permettra d'empêcher une première tentative d'achat de Lowe's en 2012.

Les Américains reviendront cependant à la charge en 2016. À ce moment, tous les obstacles qui avaient empêché la transaction de se conclure en 2012 ont disparu. Robert Dutton a été congédié, le conseil d'administration est désormais contrôlé par une majorité d'Ontariens et la minorité de blocage s'est écroulée parce qu'Investissement Québec a revendu son bloc d'actions représentant neuf pour cent de Rona. Une décision que ne s'explique pas Robert Dutton.

«Il apparaît invraisemblable que son démantèlement en 2015 soit le résultat fortuit d'une »décision de placement«, effectuée sur une base purement financière», déplore-t-il en laissant sous-entendre que le gouvernement du Québec et la Caisse de dépôt et placement étaient au courant de cette décision et de son impact sur l'avenir du fleuron québécois.

«On n'est pas dans un scénario du »oups! Je viens de démanteler une minorité de blocage, je n'ai pas fait exprès!«», ironise l'ex-PDG qui aura dirigé Rona durant 20 ans.

S'il reconnaît que ce n'est pas nécessairement le mandat d'Investissement Québec de conserver une participation aussi importante dans une entreprise inscrite en bourse, M. Dutton croit que le gouvernement aurait pu faire les démarches pour trouver des investisseurs intéressés par la relance de Rona.

Robert Dutton garde l'impression que ni le conseil d'administration (contrôlé par des Ontariens), ni la Caisse de dépôt, ni Investissement Québec, ni le gouvernement n'étaient intéressés à poursuivre la relance de RONA. «Cette volonté a fait défaut», conclut-il.

Une flèche au PQ

Dans son récit des événements, Robert Dutton revient sur la saga entourant le défunt ministre libéral Jacques Daoust qui lui avait affirmé «je ne veux plus entendre parler de Rona», alors même qu'il était président d'Investissement Québec.

Il règle aussi certains comptes avec le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia, qui serait le véritable responsable de son congédiement.

Toutefois, on apprend aussi que le Parti québécois aurait indirectement joué un rôle dans l'éventuelle vente de Rona en restant impassible face à la prise de contrôle du conseil d'administration par une majorité d'Ontariens.

Au chapitre 21 du livre publié aux Éditions Origo, M. Dutton explique que la Caisse de dépôt et un important investisseur, Invesco, ont conclu une entente pour apporter des changements au conseil d'administration de Rona.

Ces modifications ont fait en sorte d'ajouter deux sièges pour passer de 12 à 14 administrateurs et de faire entrer huit nouveaux administrateurs. Il ne restait donc plus que six anciens, qui se retrouvaient minoritaires.

«Le contrôle du conseil passe clairement aux mains des Ontariens avec une majorité d'anglophones et tout ça pendant (que) le gouvernement du Québec est entre les mains du Parti québécois. Où étaient Madame (Pauline) Marois et Monsieur (Nicolas) Marceau, alors ministre des Finances? Ont-ils approuvé ces changements», s'interroge l'homme d'affaires.