Une faible majorité (55%) de Québécois se dit favorable à la privatisation de la Société des alcools du Québec (SAQ), révèle un sondage CROP effectué pour La Presse. Autrement dit, les opinions sont très partagées sur la question au moment où Québec évalue divers scénarios.

Président de CROP depuis 30 ans, Alain Giguère connaît bien les Québécois, leurs valeurs et leurs opinions. Pourtant, il doutait de l'exactitude des résultats de son propre sondage quand il les a reçus.

« J'aurais cru que les Québécois étaient davantage attachés à la SAQ ! Quand j'ai vu le résultat de 55%, je suis allé voir mes employés pour savoir s'ils avaient fait une erreur. Et j'ai su que ma directrice de la recherche avait fait exactement la même chose que moi. »

Il se dit très étonné du résultat parce que la SAQ « rapporte 1 milliard par année » à Québec. « On paie les lits d'hôpitaux et les écoles avec ça ! » Il en conclut donc que ce message n'est pas suffisamment diffusé. Et que les consommateurs « pensent avec leur portefeuille ».

La division de l'opinion publique fait aussi croire à Alain Giguère que le commun des mortels n'a pas assez d'informations à se mettre sous la dent pour se forger une opinion claire.

L'enthousiasme en faveur de la privatisation n'est cependant pas très fort, fait remarquer le grand patron de CROP, puisque « seulement » 24 % des Québécois sont « très favorables » à la privatisation de la SAQ. Quand on est « plutôt » favorable ou défavorable à quelque chose, on peut facilement changer d'idée, souligne le sondeur.

Le débat indiffère par ailleurs 14 % des répondants.

Il est aussi intéressant de noter que les résidants de la région de Québec sont plus favorables à la privatisation (64 % contre 56 % dans la région de Montréal). À l'extérieur de ces deux grands centres, la proportion de personnes « favorables » tombe à 52 %.

LE POINT DE VUE DES CONTRIBUABLES

Quand on demande aux Québécois si l'État et ses contribuables sont mieux servis par la SAQ ou le privé, on observe encore une fois une grande division des points de vue. Mais une faible majorité penche vers le modèle public de vente d'alcool.

Si les réponses à Montréal et à Québec sont relativement semblables, on est plus nombreux (57 %) dans le reste du Québec à croire que la province est mieux servie par une société d'État.

Et cette fois, l'âge des répondants a un impact significatif sur leur opinion. Plus de 60 % des 18-34 ans croient que la SAQ dessert mieux le Québec qu'un réseau entièrement privé de vente d'alcool. Plus on vieillit, moins on y croit. De fait, seulement 48 % des 55 ans et plus partagent l'avis des milléniaux.

MOINS DE SERVICE, MEILLEURS PRIX

En ce qui concerne le prix des bouteilles dans un hypothétique modèle privé, là aussi, les avis sont plutôt partagés.

Les Québécois sont moins divisés en ce qui concerne le service à la clientèle. Près de 7 personnes sur 10 croient que la SAQ offre un meilleur service que celui d'un hypothétique réseau de vente privé.

Au début du mois de mars, le ministre des Finances, Carlos Leitão, a affirmé au réseau TVA qu'il étudiait divers scénarios pour la SAQ. Il dit chercher « quel est le meilleur modèle dans l'intérêt des Québécois ».

* Le sondage CROP a été réalisé en ligne du 16 au 20 mars auprès de 1000 personnes. Étant donné le caractère non probabiliste de l'échantillon, le calcul de la marge d'erreur ne s'applique pas.

Les services publics ou le yacht de Galen Weston ?

En Ontario, où la vente de vin est permise dans 70 épiceries depuis octobre dernier, fonctionnaires provinciaux et employés craignent qu'il s'agisse d'un premier pas vers une privatisation plus vaste. Le Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario (SEFPO) s'est donc joint aux travailleurs de la LCBO (l'équivalent de la SAQ) la semaine dernière pour lancer la campagne « Achetez à la LCBO ». On incite ainsi les Ontariens à « prendre une décision éclairée », c'est-à-dire acheter leur alcool dans le réseau public. « Lorsqu'on magasine à la LCBO, on génère des bénéfices [2,4 milliards] qui servent à financer des services publics essentiels ; lorsqu'on magasine chez Loblaws, on contribue à payer le prochain yacht de Galen Weston [président de Loblaw] », dit le président du SEFPO, Warren Thomas.