Considérée encore récemment comme l'un des plus grands succès montréalais du commerce en ligne, Beyond the Rack est aujourd'hui une entreprise qui croule sous une dette de 52 millions de dollars et qui n'intéresse personne. Que s'est-il passé en coulisses ces dernières années ?

Beyond the Rack est à vendre depuis près de deux ans. Mais l'entreprise n'a pas eu le luxe de se choisir un acheteur parmi les nombreuses offres d'achat reçues. L'intérêt dans le marché a été très mitigé, révèle une requête officielle rédigée par le cabinet d'avocats Stikeman Elliott et présentée en Cour supérieure.

Et ce n'est pas faute d'avoir cherché abondamment. En 2014, pas moins de 102 investisseurs et acquéreurs stratégiques potentiels ont été contactés, tant au Canada qu'aux États-Unis. Des familles fortunées ont également été sollicitées par BMO Nesbitt Burns et Canaccord Genuity alors mandatées à titre de conseillers financiers par le détaillant.

Au bout du compte, seulement trois investisseurs ont demandé à avoir accès à la chambre de données et aucune offre n'a été soumise. BMO Nesbitt Burns et Canaccord Genuity avaient auparavant évalué la possibilité que Beyond the Rack procède à un premier appel public à l'épargne.

Il faut dire que malgré des ventes de 132 millions en 2013, Beyond the Rack n'avait pas encaissé un seul sou de profit. Le détaillant avait plutôt réalisé une perte nette de 11 millions, révèle un rapport rédigé par Richter, qui agit à titre de contrôleur dans le dossier. Depuis trois ans, les ventes ont totalisé 360,7 millions et la perte nette frôle les 60 millions.

Protégée de ses créanciers

Toujours en 2014, Beyond the Rack avait entrepris une vaste restructuration compte tenu « de l'accélération de [ses] pertes ». Le plan a inclus une réduction de 30 % du personnel, le retrait de certaines catégories de marchandises non profitables, la diminution du budget marketing (de 23 à 9 millions), une réduction de l'espace d'entreposage et des bureaux de l'État de New York et le refinancement de la dette.

En 2015, le détaillant cherchait encore, en vain, des solutions. Début mars 2016, une offre d'achat a été reçue, mais le 16, « les négociations ont échoué ».

La semaine dernière, aux prises avec une « détérioration rapide » de sa situation financière, Beyond the Rack a demandé la protection des tribunaux (Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies). Le juge Martin Castonguay la lui a accordée, jusqu'au 22 avril.

« Ça fait trois ans que je vois ça venir. En regardant Beyond the Rack mais aussi comme les autres détaillants dans la même catégorie [flash sales] en Amérique du Nord. C'est un modèle d'affaires qui ne fonctionne plus », dit un expert en commerce électronique qui connaît bien Beyond the Rack.

Car la dernière crise économique aurait changé le marché, explique-t-il. Ainsi, il croit que c'est « impossible » que l'entreprise trouve aujourd'hui preneur.

Le site poursuit ses activités

Benoit Gingues, responsable du dossier chez Richter, cherche néanmoins une solution pour assurer la pérennité de l'entreprise. « Ma priorité pour le prochain mois est de solliciter des acheteurs potentiels pour les actifs et pour l'entreprise. [...] Je sollicite tout le monde qui oeuvre de près ou de loin dans la vente au détail, autant au Canada qu'aux États-Unis ou en Europe. Je ratisse large », a-t-il indiqué à La Presse Affaires. Il affirme avoir contacté des entreprises qui l'ont déjà été par le passé et d'autres qui ne l'ont jamais été.

Entre-temps, le site web de ventes éclair poursuit ses activités grâce à un financement intérimaire (communément appelé DIP) de 1,15 million obtenu auprès de Gestion Optifer (au taux d'intérêt annuel de 15 %). « Aucune autre alternative financière n'est disponible », a précisé Richter au tribunal.

Beyond the Rack avait pris quelques mesures depuis le début de l'année pour améliorer sa situation financière, dont une importante réduction de personnel. Le 23 février, l'entreprise comptait 190 employés à Montréal. Un mois plus tard, il n'en restait plus que 62. Diverses ententes avec des prêteurs ont également été conclues.

Au fil des ans, Beyond the Rack avait réussi à obtenir pas moins de 100 millions auprès de divers prêteurs dont Investissement Québec, Iris Capital, Tandem Expansion, Highland Capital Partners, Panorama Capital, BDC Venture Capital IT Fund et iNovia Capital.

Le site de Beyond the Rack.

Crédit : Beyond the Rack.

Beyond the Rack en bref

• Quand : Début des activités en janvier 2009

• Quoi : Vente de vêtements de designers, d'accessoires, de produits de beauté et d'articles pour la maison, de jouets, de meubles et de petits électroménagers à prix réduit

• Comment : En ligne seulement, au moyen de ventes dites privées (à ses 14 millions de membres) et d'une durée limitée (généralement 48 heures)

• Où : au Canada et aux États-Unis

• Combien : Les ventes ont atteint 96 millions de dollars au cours de l'exercice terminé le 31 janvier dernier. La perte nette se chiffre à 17,1 millions.

Grands surplus et lourdes pertes

Efficace pendant la crise

« En 2008-2009, à cause de la crise, il y avait des surplus de stocks partout. C'est ce qui a donné naissance à des sites comme Beyond the Rack et à Guilt [acquis par HBC en janvier], qui revendaient ces surplus. Or, après la récession, les fournisseurs ont eu moins de stocks à liquider », explique un expert en commerce électronique qui connaît bien l'entreprise montréalaise. Cela a rendu l'offre de Beyond the Rack beaucoup moins intéressante pour les clients.

Nouvelle concurrence

Après la crise, plusieurs grandes marques et détaillants ont lancé leur propre site ou magasin de liquidation, afin de conserver les profits générés par la vente de leurs stocks superflus. « Beyond the Rack est rendu dans un monde où il y a plus de choix, plus de concurrence », ajoute notre expert, en évoquant la multiplication des Saks Off 5th Nordstrom Rack, Marshalls, Winners et des magasins de manufacturiers (Ralph Lauren, Michael Kors, Kate Spade) dans les outlets (qui sont plus nombreux eux aussi).

Grands besoins financiers

Le modèle d'affaires de Beyond the Rack « demande beaucoup d'investissements en infrastructures [informatiques] et en marketing [pour recruter des membres] », souligne Benoit Gingues, responsable du dossier chez Richter. En conséquence, l'entreprise « a contracté beaucoup de dettes » auprès de nombreux investisseurs, mais elle n'a pas réussi à développer son modèle d'affaires de façon à générer assez de ventes pour réaliser des bénéfices.