Dans un marché déjà très concurrentiel, la haute direction de Rona était préoccupée par l'arrivée prochaine de Lowe's au Québec. Elle a donc estimé qu'il valait mieux, pour la pérennité de ses activités, accepter l'offre « très alléchante et irrésistible » de sa rivale.

« Lowe's serait venue au Québec si on n'avait pas fait [cette transaction], a confié le président et chef de la direction de Rona, Robert Sawyer, en marge d'une conférence de presse très courue. Ils s'en venaient, c'est sûr. »

Richard D. Maltsbarger, chargé des opérations internationales de Lowe's, n'a pas voulu confirmer que l'enseigne se préparait effectivement à entrer au Québec. Mais Rona en a eu la certitude en cherchant des emplacements pour de nouveaux magasins.

« Des fois, on est deux ou trois à vouloir un site et Lowe's était déjà dans le marché québécois à choisir des sites. » - Robert Sawyer, PDG de Rona

Étant donné que les marges sont déjà « sous pression », Robert Sawyer a calculé que « l'offre de 24 $ [l'action] était plus attrayante que [les perspectives] sur cinq ans ».

Cette conjoncture a permis au géant américain, après quatre ans d'efforts, de finalement mettre le grappin sur Rona pour 3,2 milliards de dollars canadiens (2,3 milliards US). Même si le détaillant n'a jamais été à vendre, a insisté le président du conseil, Robert Chevrier.

« Ils [Lowe's] cognaient à la porte aux six mois. C'était toujours non, a raconté l'administrateur. À un moment, j'ai eu le malheur de dire qu'il nous faudrait une offre "wow". Elle est arrivée à la fin de l'automne dernier. »

Pour faire succomber le quincaillier québécois, Lowe's a allongé 1,4 milliard CAN (440 millions US) de plus qu'à l'été 2012. À l'époque, l'idée que Rona puisse passer aux mains d'Américains faisait l'unanimité contre elle. Les administrateurs de Rona, ses dirigeants, ses marchands, la Caisse de dépôt et Québec s'y opposaient. Hier, le discours avait changé.

LA TRANSACTION EN BREF

Lowe's offre 24 $ par action ordinaire de Rona (20 $ pour les actions privilégiées).

Il s'agit d'une prime de 104 % par rapport au cours de clôture de mardi.

La transaction, approuvée par le conseil d'administration de Rona, sera soumise au vote des actionnaires en avril.

Le Bureau de la concurrence et Ottawa devront approuver la transaction « d'ici trois ou quatre mois ».

Quelque 20 magasins Lowe's se trouvent dans des marchés où est aussi implanté un Rona.

Le siège social canadien de Lowe's sera établi à Boucherville, où 1000 personnes travaillent.

La nouvelle entité réalisera des ventes estimées à 5,6 milliards CAN en 2015.

PAS UN ÉCHEC

Pour la haute direction de Rona, cette acquisition n'est pas un aveu d'échec. Au contraire. « Cette offre constitue clairement une marque de confiance envers Rona, ses employés, son équipe de direction et le Québec », a martelé Robert Chevrier. À son avis, il est difficile de « voir du négatif dans l'équation ».

Robert Sawyer a fait valoir que la combinaison des 76 années d'expérience de Rona et des 70 années d'expérience de Lowe's « va créer un acteur beaucoup plus fort dans le secteur canadien de la rénovation, ce qui bénéficiera autant aux consommateurs qu'aux communautés ».

La nouvelle entité accaparera environ 12 % du marché canadien, évalué à 45 milliards. Lowe's estime être en mesure de doubler la rentabilité de ses activités canadiennes d'ici cinq ans. Un objectif que Rona seule n'aurait pas atteint, de l'aveu même de ses dirigeants.

Lowe's compte notamment améliorer l'expérience en ligne de Rona et mettre à profit son expertise dans le rayon des électroménagers (Rona n'en vend pas, contrairement à Home Depot). Les consommateurs devraient commencer à voir des changements dans les magasins moins d'un an après la conclusion de la transaction. Il n'est pas prévu, pour l'instant, que des magasins Rona ou Réno-Dépôt prennent le nom Lowe's.

En achetant un acteur local, l'entreprise américaine semble vouloir éviter de faire la même erreur que Target, qui comprenait mal les particularités des marchés québécois et canadien-anglais. « On a compris qu'il faut avoir différents formats de magasin et différentes enseignes pour réussir au Canada », a indiqué Richard D. Maltsbarger.

DISCOURS RASSURANT

Puisque le siège social canadien de Lowe's sera établi à Boucherville, ses bureaux actuels près de Toronto seront transformés en bureau régional. Parmi les 175 personnes qui y travaillent, seulement quelques-unes déménageront au Québec. « Il y a la barrière de la langue », a expliqué à La Presse Affaires le président de Lowe's Canada, Sylvain Prud'homme. Le sort des autres demeure indéterminé.

Quant aux employés actuels de Rona, ils n'auraient rien à craindre, car « l'objectif est de faire croître l'entreprise ». Les fournisseurs québécois devraient aussi dormir tranquilles puisque les décisions d'achat continueront de se prendre à Boucherville, a-t-on assuré. Peut-être même que la transaction leur ouvrira des portes, a mentionné Robert Chevrier.

Robert Sawyer a par ailleurs précisé qu'il quittera Rona, mais qu'il est trop jeune pour prendre sa retraite. L'ex-vice-président de Metro retournera-t-il dans le secteur de l'alimentation ? Sobeys Québec (IGA) a perdu son président la semaine dernière.

RONA EN BREF

FONDATION : 1939

SIÈGE SOCIAL : Boucherville

VENTES ANNUELLES : 4,1 milliards

VALEUR BOURSIÈRE : 2,6 milliards

MAGASINS : 500 au Canada

EMPLOYÉS : 22 000

ENSEIGNES : Rona, Réno-Dépôt, Marcil, Dick's Lumber, Ace

LOWE'S EN BREF

FONDATION : 1946

SIÈGE SOCIAL : Mooresville, Caroline-du-Nord

VENTES ANNUELLES : 56,2 milliards US

VALEUR BOURSIÈRE : 65,8 milliards US

MAGASINS : 1845 aux États-Unis, au Mexique et au Canada (depuis 2007)

EMPLOYÉS : 265 000