Le dollar canadien a plongé sous les 72 cents US pour la première fois en plus de 11 ans jeudi. Ce n'est rien de bon pour les détaillants canadiens qui achètent la majeure partie de leur marchandise à l'étranger.

Dollarama ajoutera des prix plus élevés

Même si les derniers résultats trimestriels de Dollarama (dévoilés le 9 décembre) dépassaient toutes les attentes, son titre a plongé de 7,26 %. Le lendemain, il reculait encore de 5,3 %.

Pourquoi? Parce que les prévisions pour la prochaine année sont moins vigoureuses qu'on ne l'avait prévu, en grande partie à cause de la dépréciation du dollar canadien. Dollarama prévoit revenir à des marges brutes plus « normales » de 36 ou 37 % (comparativement 40 % à son dernier trimestre).

Pourtant, des prix plus élevés - 3,50 $ et 4 $ - feront leur entrée sur ses tablettes l'automne prochain. Cela lui permettra de refiler une partie de ses augmentations de coûts aux consommateurs.

La Baie d'Hudson frappée aussi aux États-Unis

Le jeu des devises frappe La Baie d'Hudson (HBC) des deux côtés de la frontière.

Au Canada, sa marchandise lui coûte plus cher à acquérir.

Aux États-Unis, la force du billet vert provoque un autre phénomène: les touristes sont moins nombreux à faire des emplettes dans ses enseignes de luxe que sont Saks Fifth Avenue et Lord & Taylor. « Essentiellement, nous observons la disparition de tous les Russes », a précisé le chef de la direction Jerry Storch. Les Brésiliens ont aussi déserté ses magasins.

HBC a réduit (le 11 décembre) ses prévisions pour le prochain exercice, ce qui a fait reculer son titre de 16 % en deux séances.

Canadian Tire: analystes aux aguets

Concernant Canadian Tire, Desjardins est moins optimiste pour le quatrième trimestre en raison de « vents contraires potentiels », dont le recul du dollar canadien. « Même si Canadian Tire couvre une part non divulguée de son risque lié aux devises étrangères, cette couverture ne fait que reporter l'impact d'un dollar canadien affaibli », a justifié l'analyste Keith Howlett.

Canaccord Genuity a réduit le cours cible de Canadian Tire, de 147 $ à 129 $. « Nous sommes plus prudents sur les perspectives de la division commerce de détail compte tenu de l'évolution défavorable du taux de change Canada/États-Unis, et de la faiblesse persistante du marché albertain », a expliqué Derek Dley.

Reitmans très vulnérable

Le détaillant montréalais Reitmans est très vulnérable aux fluctuations des devises, vu sa grande taille (775 magasins) et le fait que la majorité de ses vêtements sont importés. Au cours des neuf premiers mois de l'exercice en cours, ses achats de marchandises, payables en dollars américains, se sont élevés à 191,4 millions US.

Par ailleurs, la faiblesse du dollar canadien a eu une incidence négative de près de 17,6 millions de dollars sur la marge brute de Reitmans au cours de la période de neuf mois close le 31 octobre. Celle-ci a reculé de 6,1 % pour s'établir à 397,3 millions.

DeSerres favorise des fournisseurs locaux

Marc DeSerres, président et propriétaire des magasins de matériel d'artiste du même nom, ne voit pas que du négatif dans la dégringolade de notre dollar. « C'est bon pour notre site web qui est devenu plus intéressant que n'importe quel site américain! », souligne-t-il.

Le magasinage transfrontalier est effectivement moins avantageux qu'au moment où le huard et le billet vert étaient à parité. D'ailleurs, un sondage Léger effectué pour UPS en novembre dernier prédisait une importante baisse des achats transfrontaliers lors du Vendredi fou. Cette année, 29 % des Canadiens prévoyaient effectuer des achats aux États-Unis, comparativement à 37 % en 2014. Le taux de change n'était pas le seul facteur évoqué par les répondants, mais il arrivait au sommet de liste.

Marc DeSerres admet par ailleurs que la faiblesse du huard change sa façon d'acheter sa marchandise. « On est obligés de changer l'offre, de s'adapter, de trouver des substituts », dit-il. Par exemple, il a augmenté de 20 à 25 % ses achats de peinture acrylique et de toiles auprès de fournisseurs canadiens. Et il a réduit d'autant ses commandes aux États-Unis. En outre, DeSerres se tourne davantage vers des fournisseurs européens.

LES CONSOMMATEURS ÉPARGNÉS... POUR LE MOMENT

« Plus un produit est unique et niché et répond à un besoin d'un client, plus le détaillant pourra en augmenter le prix [...] Si un produit est identique ou similaire à d'autres, la technologie permet aux consommateurs de comparer les prix de tous les compétiteurs [...]. Donc à moins que tous les détaillants décident d'augmenter leurs prix en même temps, ils craignent une perte de vente, c'est pourquoi je crois que le "transfert" au consommateur se fera graduellement. »

- Marie-Claude Frigon, associée spécialisée  en commerce de détail chez Richter

« Dans les premiers mois de 2015, les détaillants ont grugé dans leur marge car la compétition est très forte. Mais là, ils commencent à refiler les hausses aux consommateurs. »

- Léopold Turgeon, PDG du Conseil québécois  du commerce de détail

INFLATION ALIMENTAIRE EN VUE

Les consommateurs doivent s'attendre à des hausses de prix dans la majorité des commerces qui achètent leur marchandise à l'étranger, que ce soit des vêtements, des articles de cuisine ou des outils. Manger ses 5 à 10 portions de fruits et légumes par jour continuera aussi de coûter de plus en plus cher, prévoit le Food Institute de l'Université Guelph dans son dernier rapport sur le prix des aliments.

En 2015, « la chute spectaculaire et inattendue du dollar canadien » a « nettement diminué » le pouvoir d'achat des importateurs. Ainsi, le prix des légumes a bondi de 10,1 % et celui des fruits et des noix de 9,1 % depuis 12 mois. Ces hausses ne sont pas anodines, quand on sait que le ménage moyen au Canada consacre entre 15 % et 25 % de son budget pour l'achat de fruits et légumes.

Au cours de la prochaine année, l'inflation sera moins spectaculaire, prévoit-on. Mais elle devrait tout de même atteindre 4,5 % pour les fruits et 4 % pour les légumes.