«Levez la main si vous pensez que c'est inacceptable que je ne porte pas de cravate!», a lancé le grand patron de Dollarama, Larry Rossy, à la dernière assemblée des actionnaires. Quand un brave a osé agiter le bras, sous des éclats de rire généralisés, il s'est fait dire que son opinion ne comptait pas, vu son âge avancé.

Il semble détendu, il fait preuve d'humour, mais Larry Rossy gère des affaires sérieuses. Dollarama génère des ventes annuelles de 2 milliards de dollars, le nombre de magasins croît rapidement et les premières graines d'un plan d'expansion à l'étranger ont été semées.

D'ailleurs, il ne prend rien à la légère. Son bras droit et son chef de la direction financière, Michael Ross, l'a accompagné au cours de l'entrevue qu'il nous a accordée. De même que sa directrice des affaires juridiques et une représentante du cabinet de relations publiques National.

La réputation de Dollarama est pourtant enviable. Ses résultats financiers ont de quoi faire pâlir d'envie les autres détaillants. Et en Bourse, le titre ne cesse d'atteindre de nouveaux sommets. Depuis un an, il est passé d'environ 69$ à 96$, un bond de 39% (avant la baisse provoquée le 12 juin par les données plus tièdes du deuxième trimestre). Pendant ce temps, le TSX a gagné 22%. En trois ans, la capitalisation boursière de l'entreprise a pratiquement triplé pour frôler 6 milliards de dollars.

Pas étonnant, donc, que Larry Rossy veuille continuer sur cette lancée, sans changer de stratégie et d'objectif. «C'est toujours la même histoire ennuyeuse. Je veux bâtir une entreprise qui va durer le plus longtemps possible», dit le président du conseil et chef de la direction. Pour y arriver, il mise notamment sur une forte croissance; entre 70 à 80 magasins seront inaugurés cette année.

L'après-Canada

Les dirigeants de Dollarama sont bien conscients qu'à ce rythme, le marché canadien sera saturé dans quatre ou cinq ans (1200 magasins). Ils savent aussi que les investisseurs continueront d'exiger de la croissance. Ils ont prévu le coup. Le 5 février 2013, ils ont annoncé la conclusion d'une entente avec Dollar City, petite chaîne de magasins d'articles au rabais du Salvador.

Depuis, Dollarama approvisionne ses 15 succursales à partir de ses entrepôts canadiens. «On teste notre concept là-bas. On n'a pas investi une cenne. Il n'y a aucun risque financier. On va les encadrer pendant cinq ans, leur dire comment un Dollarama doit être exploité. Ensuite, nous avons une option pour acheter l'entreprise (en 2019) si on juge que ce sont de bons opérateurs et qu'il y a du potentiel en Amérique centrale», résume Michael Ross.

L'entreprise montréalaise vend ses produits à Dollar City au coûtant et n'ajoute qu'une commission qui couvre ses frais de logistique. Le contrat n'engendre pas de profits, mais il ne réduit pas la marge bénéficiaire non plus, a tenu à préciser Larry Rossy.

Pour le moment, la croissance du détaillant salvadorien est modeste: depuis la signature de l'entente il y a 17 mois, seulement 2 magasins ont été inaugurés. Ça devrait changer si Dollarama met la main sur Dollar City. Les entreprises ont des visées en Colombie, au Pérou et en Équateur. Larry Rossy prédit toutefois que ces pays ne seront pas aussi faciles. Au Salvador, note-t-il, les ventes s'effectuent dans la devise américaine - la même qui est utilisée pour les approvisionnements -, ce qui n'est pas le cas dans les pays autour.

L'impact Dollar Tree

D'ici là, Dollarama doit composer avec la multiplication des magasins Dollar Tree, arrivés au Canada en 2010. Les experts du secteur n'ont pas manqué d'observer que Dollarama avait accéléré sa croissance pour s'emparer du plus grand nombre de bons locaux possible et ainsi nuire à l'expansion de sa rivale. «Ils ouvrent deux fois moins de magasins par année que nous, souligne Larry Rossy. Ils se collent sur nous. On ne peut pas les éviter...»

En quatre ans, l'entreprise américaine est passée de 85 magasins en Colombie-Britannique à 176 magasins du Pacifique à l'Ontario. L'enseigne n'est pas encore présente au Québec, mais elle est visible à moins de 100 km de Montréal, à Hawkesbury.

Si Dollar Tree continue d'afficher un prix unique - 1,25$ -, Dollarama a plutôt fait le pari des prix multiples ces dernières années (jusqu'à 3$). Aujourd'hui, les consommateurs mettent 60% de produits à plus de 1$ dans leur chariot, ce qui a contribué à faire bondir les ventes. Le détaillant ne peut que s'en réjouir, d'autant plus que les produits à 1$ se font rares dans les usines.

«C'est de plus en plus difficile d'en trouver à cause de l'inflation, note Larry Rossy. Et puis la Chine est moins intéressée à fabriquer des choses à 1$. Son seul marché est celui des États-Unis [hormis le Canada, très petit]. En Europe, c'est des euros, donc, au minimum c'est 1,50$. Pour eux, un article à 1$, c'est seulement 20 ou 30 cents.»

Dollarama en bref

> Fondation en 1992, par Larry Rossy

> 899 magasins au Canada (5 fois plus que son plus proche concurrent au Canada)

> En moyenne, Dollarama a ouvert 58 magasins par année, depuis 2005

> Employés: 17 400 dans les magasins, 400 au siège social

> Ventes du dernier exercice: 2,1 milliards de dollars (+ 11,1%)

> Bénéfice net: 250,1 millions (+ 13%) ou 3,47$ par action après dilution

> Possède 55 marques de commerce (Duramax, Elegant Effects, Sparkle N' Shine, etc.)

> Vend 4000 produits (UGS ou SKU) courants et plus de 700 autres saisonniers

> Approvisionnements: 51%: Chine et 24 autres pays outre-mer 49%: Amérique du Nord

> Répartition des ventes selon la catégorie: 50%: marchandises générales (papeterie, articles de cuisine, jouets) 38%: produits non durables (papiers mouchoirs, produits nettoyants, friandises) 12%: produits saisonniers

> Proportion des biens vendus à plus de 1$ Exercice 2009: 0% Exercice 2010: 24% Exercice 2014: 62%

Forces

> Un grand nombre de magasins, d'un bout à l'autre du pays. Cela «augmente la reconnaissance de notre marque, génère du bouche-à-oreille et augmente l'achalandage», croit Dollarama.

> Le grand volume de ventes permet les importations directes et la création de marques privées qui génèrent de meilleures marges.

> Offre constante (plutôt qu'un magasinage de type course au trésor).

> Stratégie de prix multiples. Facilite les approvisionnements et le maintien des marges.

> Pas de soldes.

Faiblesses

> Subit davantage les impacts de l'inflation à cause de sa structure de prix peu flexible.

> Grand impact de la fluctuation du dollar canadien puisque la grande majorité de la marchandise est acquise en dollars américains.

> Potentiel de croissance au Canada de plus en plus limité.

> Forte concentration des approvisionnements en Chine. Cela rend Dollarama vulnérable à la hausse probable des tarifs douaniers le 1er janvier 2015 (à la suite du retrait de la Chine du régime du Tarif de préférence général (TPG) du Canada).

Pourquoi arrêter?

À 72 ans, le milliardaire Larry Rossy n'a aucune envie de ralentir la cadence ou de se la couler douce. Il aime faire croître la plus importante chaîne de magasins à bas prix au pays. «J'ai beaucoup de plaisir. Je vais en Chine et je travaille fort comme un boeuf! J'adore chaque moment. Je négocie pour des affaires de 20 sous, 30 sous... Je ne pense pas à la relève. Peut-être que les autres le font, par contre! Ma femme m'a parlé de retraite, mais elle ne le fait plus. Tant qu'on a la santé, pourquoi arrêter? Je ne vois pas le moment où je serai chez nous à rien faire. Jamais, jamais, jamais.»