Après 37 ans dans le paysage québécois, la chaîne de magasins Jacob s'apprête à disparaître. Malgré la restructuration entamée à l'automne 2010, le détaillant n'a pas été en mesure de se redresser. Les employés du siège social ont été remerciés hier matin et ils ne retourneront pas au travail. Les boutiques resteront ouvertes le temps que les stocks soient liquidés.

«On nous a convoqués dans la cafétéria vers 10h, on a appris que Jacob mettait fin à ses activités et que tout serait liquidé dans les boutiques. C'était notre dernière journée de travail. Tout est fini», raconte une employée qui a préféré taire son nom.

L'entreprise établie à Montréal comptait près de 100 magasins et quelque 1500 employés.

Le fondateur et propriétaire de ce fleuron du commerce de détail québécois, Joseph Basmaji, n'a pas voulu accorder d'entrevue. Sa fille, Cristelle Basmaji, responsable du marketing et des communications de Jacob, est actuellement en congé de maternité. Elle n'a pas souhaité nous parler. «L'équipe de direction se concentre sur les communications avec nos employés et fournisseurs présentement», nous a-t-elle écrit.

Jacob s'était placée à l'abri de ses créanciers en novembre 2010. L'entreprise perdait de l'argent depuis déjà 4 ans et sa dette frôlait les 50 millions. «Bien que l'entreprise ait fait d'importants progrès depuis, elle n'a pas réussi à renouer avec la profitabilité et n'a pas pu trouver d'autres sources de financement», a indiqué Jacob dans un court communiqué émis en fin d'après-midi.

Il n'a pas été possible d'en apprendre davantage sur les circonstances de cette faillite auprès du syndic dans le dossier, PricewaterhouseCoopers, qui n'a pas rappelé.

Secteur en difficulté

Le détaillant justifie son insolvabilité par le «contexte économique des dernières années» et par «l'arrivée de nombreux compétiteurs internationaux qui ont rapidement pris des parts de marché des détaillants canadiens».

Deux importants propriétaires de centres commerciaux ont affirmé à La Presse que Jacob leur avait demandé des «allègements» il y a quelques mois. Le détaillant avait réclamé et obtenu des baisses de loyer dans les centres appartenant à Ivanhoé Cambridge, entre autres.

Dans le secteur du vêtement, ce n'est facile pour aucun détaillant, souligne un expert du secteur qui s'attend à ce que les chiffres de vente de mars soient «carrément affreux», compte tenu du temps froid et de la faible confiance des consommateurs. «Avril ne sera pas mieux, il a encore fait froid!» La morosité se fait sentir depuis plusieurs mois. D'ailleurs, les autres grands détaillants québécois que sont Le Château et Reitmans éprouvent des difficultés.

Un «battant»

Même si les affaires étaient au ralenti, les employés de Jacob avaient espoir que l'entreprise surmonte ses problèmes, raconte l'une d'entre eux. «Joseph Basmaji est un battant, c'est quelqu'un qui trouve toutes sortes de solutions, qui a à coeur de s'en sortir.» On aurait notamment cherché de nouvelles sources de financement aux États-Unis et en Europe, ce que nous n'avons pu confirmer.

Dans les deux années précédant la restructuration judiciaire (C-36) entamée en 2010, l'homme d'affaires avait supprimé 1350 postes et fermé une cinquantaine de magasins, en plus de fusionner des enseignes. Il avait aussi avancé 65,8 millions de son propre argent à son entreprise pour l'aider. Mais un différend avec son banquier des trois dernières décennies, la Banque Nationale, avait tout fait basculer, ce qu'il avait raconté au tribunal avec beaucoup d'émotion.

Dans l'un de ses rapports rédigés en 2011, le contrôleur PricewaterhouseCoopers prévoyait que Jacob réaliserait des ventes de 123 millions pour l'exercice 2011-2012. Pour l'année suivante, le montant devait être de 130 millions.

---------------

JACOB: CHRONOLOGIE D'UNE FERMETURE

Fondation: À Sorel, en 1977, par Joseph Basmaji (principal actionnaire)

Employés: Plus de 1500

Magasins: 92 Jacob (les enseignes Jacob Connexion, Jacob Lingerie et Josef ont été supprimées)

2008-2010:1350 mises à pied, fermeture d'une cinquantaine de magasins, l'enseigne Jacob Connexion est supprimée. Le propriétaire avance 65,8 millions à son entreprise.

Novembre 2010: Jacob se place à l'abri de ses créanciers après que son banquier, la Banque National, eut réduit sa marge de crédit. Ses dettes s'élèvent à 46,7 millions. PricewaterhouseCoopers est alors mandatée pour trouver des investisseurs ou des acheteurs potentiels.

Décembre 2010: On apprend qu'une quinzaine de prêteurs sont intéressés à participer à la relance de l'entreprise. Trois ont déjà rencontré la direction de Jacob: la Banque CIBC, la Banque Scotia et Gordon Brothers Group, de Boston. Le détaillant obtiendra finalement un prêt de la Banque de développement du Canada, et la CIBC deviendra son nouveau banquier au début de 2011.

Septembre 2011: Le plan d'arrangement est accepté par les créanciers (ils recevront 7,9% des montants dus). En un an, le nombre de magasins est passé de 150 à 100; le nombre d'employés, de 1600 à 1200.

Octobre 2011: Lancement d'un site transactionnel

2012-2013: Jacob recommence à ouvrir des magasins.

6 mai 2014: Les employés apprennent que l'entreprise fera une offre à ses créanciers.