L'état de santé des artères commerciales de Montréal se détériore. Les locaux vacants se multiplient et les délais de location s'allongent. Les experts constatent que les prix baissent et que les détaillants sont désormais en position d'exiger des mois gratuits.

Même une adresse prestigieuse comme le 900, rue Sainte-Catherine Ouest, inoccupé depuis le départ d'Esprit il y a 20 mois, ne trouve pas preneur.

«On pensait que ça se louerait très rapidement, en trois mois, peut-être», confie Mathieu Couillard, représentant à la location chez Busac, propriétaire de l'édifice de près de 11 000 pieds carrés. Malgré plusieurs discussions, surtout avec des entreprises étrangères, et une baisse de loyer, personne n'a encore voulu signer un bail.

Il y a deux ans, les détaillants et les courtiers cognaient à toutes les portes de la rue Sainte-Catherine dans l'espoir de trouver un local, se rappelle Sylvain Charron, vice-président, services immobiliers, Québec, chez Oberfeld Snowcap. «Aujourd'hui, on court après les locataires potentiels...» Il estime que le taux d'inoccupation n'a jamais été aussi élevé en 15 ans. Et qu'il augmentera encore. Les loyers ont pourtant baissé de «10 à 20% depuis un an».

Les consommateurs dépensent moins et cela se ressent partout. Sur l'avenue du Mont-Royal, sur la rue Saint-Denis, sur le boulevard Saint-Laurent, dans la rue Saint-Hubert. «On ne se le cachera pas, les affaires sont difficiles. On va avoir une rencontre le 19 décembre [demain] et on va justement en parler», confie Mike Parente, président de l'Association des Sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM) et directeur général de la SDC Plaza St-Hubert.

La situation est encore pire qu'elle n'y paraît, prévient Sylvain Charron. Car «plusieurs commerçants veulent quitter leur local, ils sont ouverts à la sous-location». À preuve, le site d'Oberfeld Snowcap propose des locaux occupés par des détaillants en affaires comme Payless et Sirens, sur la rue Sainte-Catherine Ouest, et Ardène, sur la rue Saint-Denis.

En 12 ans de carrière, le courtier Sylvain Michaud (affilié à RE/MAX) n'a jamais vu les locataires exiger autant des propriétaires. «Aujourd'hui, pratiquement tout le monde demande trois mois gratuits. Et les gens y tiennent mordicus, ils insistent. Avant, on pouvait s'entendre pour un mois gratuit.»

Mathieu Couillard constate qu'un bon nombre de détaillants tournent le dos aux artères commerciales, préférant la sécurité des centres commerciaux. «La rue, c'est toujours imprévisible. Tu ne sais pas s'il va y avoir des travaux, des manifestations étudiantes. La clientèle est plus assurée dans un mail.»

Les centres commerciaux ont accès aux chiffres de ventes de tous leurs locataires, ce qui leur permet de compiler des statistiques, ajoute Sylvain Charron. Or, dans la rue, de tels chiffres n'existent pas pour rassurer les détaillants au moment de négocier un bail.

Facteurs multiples

C'est un véritable «cocktail Molotov» de facteurs qui explique les fermetures de commerces sur les artères commerciales, affirme le président de la SDC Boulevard Saint-Laurent, Glenn Castanheira.

Parmi les ingrédients destructeurs: les travaux d'infrastructures mal planifiés qui traînent en longueur, la spéculation immobilière qui provoque des hausses de loyer, la crise économique, la flambée du prix de l'essence et les impôts fonciers qui ont «doublé en 10 ans», énumère-t-il.

Son confrère Mike Parente ajoute à cette liste le manque de relève entrepreneuriale, la concurrence féroce du web et les problèmes de stationnement (rareté des espaces et prix des parcomètres). Tout ce qu'on a entendu sur les ponts, les manifestations étudiantes et la congestion n'aide pas non plus. «Ça fait un an qu'on entend à la radio «ne venez pas à Montréal si ce n'est pas essentiel» », se désole Philippe O'dwyer, directeur général de la SDC Quartier Latin.

C'est sans compter la diversification de l'offre commerciale en banlieue qui diminue l'unicité des artères montréalaises, et par le fait même leur attrait. Le Quartier DIX30 a en effet réussi à attirer des enseignes auparavant exclusives à Montréal, comme Tony Pappas et Juliette&Chocolat. On y trouve aussi une foule de restaurants, des enseignes uniques ou prestigieuses comme HR2, Williams-Sonoma, Pottery Barn, Birks, Michael Kors et Apple.

L'autre côté de l'île n'est pas en reste. Le Carrefour Laval abrite Victoria's Secret, Crate & Barrel, Aritzia et Coach.

«Sur Saint-Denis, des commerces ont perçu une baisse de 30% de leur achalandage provenant des banlieues», rapporte Sylvain Charron.

SAINT-HUBERT

Il y a un an, neuf locaux étaient vacants sur la Plaza St-Hubert. Aujourd'hui, il y en a 13.

«C'est quand même quatre de plus, dont deux grandes superficies de 10 000 pieds carrés avec la fermeture de la quincaillerie Gagné et fils (Rona) et celle des Meubles Poplaw après 65 ans», dit Mike Parente, qui dirige la SDC Plaza St-Hubert et préside aussi l'Association des SDC de Montréal (ASDCM).

Sans relève, le propriétaire du magasin de meubles a décidé de fermer son magasin. Et il a vendu l'immeuble. La bonne nouvelle, c'est que l'espace a déjà trouvé preneur. Deux magasins de meubles vont bientôt se le partager, ce qui est «un cadeau du ciel» pour l'artère. Car Mike Parente observe que les locaux se louent de moins en moins vite, surtout ceux de grande taille.

«Je dirais que ça fait plus de 10 ans que ça n'a pas été aussi mal [...], mais dans les centres commerciaux aussi c'est difficile. Les ventes ne sont pas au rendez-vous.»

Photo Bernard Brault, La Presse

Le 6524, rue Saint-Hubert (ex-Rona).

MONT-ROYAL

Sur le territoire de la SDC de l'avenue du Mont-Royal, 26 locaux attendent d'être loués. «Dans le Plateau, il y a eu de gros changements. Depuis 2012, ce n'est plus pareil. C'est comme s'il n'y avait plus personne d'intéressé à louer des locaux commerciaux», raconte Sylvain Michaud, un courtier affilié à l'enseigne RE/MAX.

Il vient tout juste de trouver un locataire pour le 1678, avenue Mont-Royal Est, mis sur le marché le 15 août (ex-adresse de Telus). «Ç'a été long et on a diminué le prix.» Après un mois, il n'avait encore reçu aucun appel, aucun courriel. L'an dernier, il aurait au moins été appelé par quelques curieux, assure-t-il.

Dans le Plateau, les initiatives du maire Luc Ferrandez ont fait fuir des entrepreneurs, observe-t-il. «Ce que j'entends dire le plus souvent, c'est qu'il s'est acharné, qu'il n'a pas cessé d'inventer des mesures pour nuire à la réputation du Plateau, pour tuer l'achalandage commercial.» Sylvain Michaud cite des exemples maintes fois entendus comme le prix des parcomètres, les changements de direction dans les rues et l'absence de déneigement les fins de semaine.

Si les prix au rez-de-chaussée ont baissé «d'environ 15% depuis un an», le courtier constate que les diminutions sont encore plus prononcées aux 2e et 3e étages. «Ça a baissé considérablement, entre 30 et 35%, même si certains propriétaires veulent encore louer au même prix.»

Photo Bernard Brault, La Presse

Le 2001, avenue du Mont-Royal Est (ex-Péché glacé).

SAINT-LAURENT

Le boulevard Saint-Laurent comptait 46 locaux vacants il y a un an. «Il y a eu une vague de fermetures, déplore le président de la SDC, Glenn Castanheira, en énumérant quelques noms marquants comme la boutique de vêtements Soho, les restaurants Papas Tapas et Pizzédélic, le Gas Bar Lounge, le Café Méliès...

L'artère est aujourd'hui «en pleine relance», jure sa SDC, qui a été «complètement restructurée». Le nombre d'employés est passé de huit à trois, des experts en marketing et en organisation d'événements ont été recrutés, «des entrepreneurs motivés» se sont joints au conseil d'administration.

Cette année, 33 commerces ont ouvert leurs portes et 11 les ont fermées. Si bien qu'aujourd'hui, 25 locaux sont à louer.

Glenn Castanheira veut «faire les choses différemment» pour redonner vie au boulevard, pour en faire une destination «où trône la créativité et qui reflète les valeurs des Montréalais».

Photo Bernard Brault, La Presse

Le 3553, boulevard Saint-Laurent (ex-Radio Lounge).

SAINT-DENIS

Les locaux vides se multiplient dans le Quartier latin. Les restaurants Zéro8, Ambassade Boris, Presse Café et St-Hubert ont tous fermé leurs portes ces derniers mois. Les quatre locaux sont encore vides. «Collectivement, ça fait mal au quartier [...] On essaie de définir notre plan d'action et d'intervention», mentionne le directeur général de la SDC du Quartier latin, Philippe O'dwyer.

St-Hubert affirme avoir fermé sa rôtisserie - ouverte en 2010 au coût de 5,5 millions de dollars - parce que l'achalandage était insuffisant pour en assurer la rentabilité. La proximité de l'UQAM et de ses milliers d'étudiants était de bon augure, mais ils n'ont jamais envahi le restaurant. «Ça n'a jamais fonctionné», confie la porte-parole, Josée Vaillancourt.

Le Presse Café a pour sa part fermé en raison d'un «litige» dont l'entreprise ne veut pas parler publiquement.

Au nord de la rue Roy, sur le territoire de la SDC Pignon rue Saint-Denis, la situation n'est guère plus réjouissante. Là aussi, les affiches «à louer» sont nombreuses. Sur le site cdec-cspmr.org (de Corporation de développement économique communautaire (CDEC) Centre-Sud/Plateau Mont-Royal), qui répertorie les locaux à louer dans différentes artères, on dénombre pas moins de 39 locaux commerciaux vacants dans la rue Saint-Denis. «Je considère qu'on est dans le creux d'un cycle, mais on est très optimistes pour l'avenir», affirme le directeur général de la SDC Pignon rue Saint-Denis, Joël Pourbaix, précisant qu'il y a eu 35 fermetures et 27 ouvertures dans son artère en 2013.

Une étude réalisée l'été dernier a conclu que la clientèle provenant de l'extérieur de l'île se faisait plus rare, mais la baisse n'a pas été quantifiée. Cela fait dire à la SDC qu'il «faut faire un travail de visibilité et d'événementiel pour convaincre les gens de se déplacer», puisque les commerces ne peuvent pas seulement vivre de la clientèle de proximité.

Photo Bernard Brault, La Presse

Le local du restaurant Départ en mer, au 4306, rue Saint-Denis.

SAINTE-CATHERINE

Destination Centre-Ville ne sait pas combien de locaux vides se trouvent sur son territoire, cette donnée n'étant pas compilée. Le président de cette SDC, André Poulin, n'est pas préoccupé par la situation. Il s'inquiète surtout pour le Complexe Les Ailes, dont le locataire principal -  Les Ailes - quittera les lieux après les Fêtes: «70 000 pieds carrés, c'est quelque chose. C'est majeur. Trouver un locataire unique sera difficile», estime-t-il.

Quant à l'ancien magasin Esprit, près de McGill College, André Poulin n'est pas très étonné de le voir encore vide. «Ce n'est pas nécessairement payant de faire des affaires au centre-ville de Montréal parce que les coûts sont élevés. Les détaillants y pensent à deux fois avant de venir s'y installer.»

Tous les tronçons de la rue Sainte-Catherine ne sont évidemment pas égaux. L'artère a surtout perdu des plumes à l'est du magasin La Baie, près du Future Shop. Le 364 est vide, tout comme le 397, le 480, le 481 et le 539, entre autres.

Canderel, propriétaire du 539, tente de louer l'espace (9600 pieds carrés) depuis le mois de juin. «Je reçois des appels, mais c'est une bâtisse faite pour un magasin phare. Ce n'est pas pour un mom&pop», relate Luisa Gianino, directrice principale des locations, qui discute surtout avec des détaillants américains dans le secteur de la mode.

Difficile de dire si le local, un ancien théâtre, se serait loué plus rapidement il y a quelques années, puisqu'il n'était pas du tout dans le même état. Chose certaine, le prix demandé (169$ le pied carré plus les frais) est «négociable», mentionne Luisa Gianino, avant d'ajouter que d'autres propriétaires de locaux de la rue Sainte-Catherine ont consenti des baisses de loyers.

«C'est clair que les locataires s'assoient avec les propriétaires, confirme Sylvain Charron. Car ils doivent les prévenir qu'ils veulent sous-louer leur espace.»

Photo Bernard Brault, La Presse

Le 480-486, rue Sainte-Catherine Ouest.