Blaise Renaud dirige les librairies Renaud-Bray depuis 2011, mais c'est cette année qu'il a reçu son véritable baptême du feu: il est monté au front contre le prix unique du livre aux côtés du géant américain Costco et a fait face à une grève qui a fait beaucoup de bruit.

Dans son bureau situé au-dessus de la librairie phare du groupe, rue Saint-Denis, le jeune homme de 28 ans décrit avec assurance et sans faire de quartier les rouages de l'industrie du livre.

Pour certains dans les cercles culturels et syndicaux, le fils du cofondateur de l'entreprise, Pierre Renaud, aujourd'hui âgé de 74 ans, fait un peu figure d'imposteur. Sa verve et sa détermination sont souvent perçues comme de la suffisance. Lui n'y voit que le caractère qu'un jeune doit absolument posséder pour s'imposer auprès d'employés qui peuvent avoir deux fois son âge.

«Ce n'était pas facile pour moi d'arriver alors qu'il y avait des gens qui avaient jusqu'à 35 ans d'expérience dans l'entreprise, note-t-il. Il fallait les convaincre de mes capacités. Et de toute façon, ce n'est pas vrai que c'est le boss qui décide de tout et que les employés suivent sans rien dire.»

Le grand gaillard dit que la grève de 22 jours qui vient de prendre fin l'a «déçu» mais pas surpris parce qu'à ses yeux, le syndicat, affilié à la FTQ, cherchait depuis des mois à faire un coup d'éclat à l'approche de la période des Fêtes. «À aucun moment il n'y a eu achoppement majeur entre les parties, personne n'a jamais claqué la porte», souligne-t-il.

Le syndicat a évidemment présenté la nouvelle convention collective comme une «victoire» pour les travailleurs. De son côté, M. Renaud assure que la grève, qui a forcé la fermeture temporaire de 3 des 10 magasins touchés, n'a pas poussé l'entreprise à faire des concessions inacceptables.

«Les gens s'insurgeaient contre nos conditions de travail (le salaire horaire d'un libraire oscille entre 10,15 et 13,00$ chez Renaud-Bray), mais au fond, ils en avaient contre la réalité du commerce de détail», soutient Blaise Renaud.

La grève sera vraisemblablement moins dommageable pour Renaud-Bray que la précédente, en 2005. M. Renaud l'avait vécue puisqu'il travaillait déjà dans l'entreprise. Après le conflit, il est allé faire un MBA à Beyrouth, au Liban. Il est revenu chez Renaud-Bray en 2008.

Il a alors piloté le projet qui allait lui permettre de faire sa marque: l'ouverture d'un centre de distribution de 40 000 pieds carrés pour desservir le site web transactionnel. Grâce à cet investissement de 1,5 million, l'entreprise tire aujourd'hui 7% de son chiffre d'affaires des ventes internet. Du lot, 20% viennent de l'extérieur du Québec: 15% de l'Amérique du Nord et 5% du reste du monde.

Prix unique

Blaise Renaud s'est aussi fait remarquer en août quand il est allé se prononcer contre l'intention du gouvernement d'imposer un prix unique sur le livre en commission parlementaire. Pour Renaud-Bray, le raisonnement est simple: une telle mesure n'aidera pas les librairies indépendantes tout en nuisant à l'ensemble de la «chaîne du livre».

«Si c'est le même prix pour tout le monde, Costco va toujours vendre des livres, mais moins, et ce qu'il ne vendra pas, il ne sera pas vendu ailleurs», tranche M. Renaud.

La plus grande chaîne de librairies au Québec trouve que l'industrie est déjà suffisamment réglementée. La loi Vaugeois, entrée en vigueur en 1981, oblige les détaillants à acheter leurs livres auprès de distributeurs exclusifs. Trois d'entre eux dominent à ce point le marché que Renaud-Bray n'hésite pas à parler d'un «cartel» qui dicte ses conditions aux librairies.

Renaud-Bray ne se gêne pas non plus pour critiquer certaines librairies indépendantes et coopératives scolaires qui dépendent fortement des achats des bibliothèques, faits sans appels d'offres. La loi garantit aux librairies agréées une marge bénéficiaire de 40% sur ces ventes.

«L'an dernier, le gouvernement a dépensé 80 millions à ce titre, ce qui représente une aide de 32 millions pour les librairies sous forme de bénéfices.»

M. Renaud ne va pas jusqu'à plaider pour une libéralisation complète du marché du livre, mais il martèle à qui veut bien l'entendre que l'industrie est mûre pour un «rééquilibrage». En d'autres mots, une révision de la loi Vaugeois.

Renaud-Bray en bref

> 31 librairies et points de service

> 4 librairies ouvertes depuis février 2012

> 6 nouvelles librairies prévues d'ici la fin de 2015

> 1000 salariés

> Chiffre d'affaires de 125 millions