Les promoteurs immobiliers constatent que les détaillants sont beaucoup plus prudents dans leurs projets d'expansion. Les études de marché prennent plus de temps et les baux sont plus longs à signer. Résultat: certains projets tardent à sortir de terre.

«Avant, on disait: build it and they will come. Aujourd'hui, quand un local est vacant, il est vacant plus longtemps. Les locataires magasinent plus», affirme Danielle Lavoie, directrice d'ICSC Québec (International Council of Shopping Centers) et vice-présidente, gestion immobilière, chez Strathallen.

C'est exactement ce qu'observe SmartCentres, qui a acheté en janvier un terrain de 695 000 pi2 à Blainville, en bordure de l'autoroute 15 (sortie 28) pour y construire un mégacentre. Si la boîte de 110 000 pi2 destinée à Walmart (ouverture prévue en janvier) est presque terminée, les fondations d'aucun autre magasin ne sont encore coulées. Force est de constater que les détaillants ne s'empressent plus comme avant de louer un local voisin du géant américain pour profiter de l'achalandage qu'il génère.

«On sent plus d'hésitation. On fait un pas en avant... un pas en arrière. Pour bien résumer la situation, disons que tout est beaucoup plus long. Il y a encore de l'engouement, mais de là à signer, la marche est haute», a expliqué à La Presse Affaires Eric Thomas, directeur principal, Développement immobilier chez SmartCentres.

Cette prudence n'étonnera personne. Un sondage du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) nous apprenait au début du mois d'octobre que les Québécois prévoient réduire leurs dépenses dans toutes les catégories de biens, à l'exception des vêtements et des chaussures, au cours des prochains mois.

Pas des spéculateurs

SmartCentres prévoit encore bâtir un immeuble de 12 000 pi2 pour «cinq ou six locataires» à côté de Walmart. Mais jusqu'ici, seulement deux ont été trouvés, ce qui n'est pas suffisant pour lever la première pelletée de terre. Avec l'hiver qui approche, la construction ne commencera vraisemblablement pas avant le printemps 2014, prévoit le promoteur immobilier.

«Nous ne sommes pas des spéculateurs. Nous construisons pour des commerçants qui ont signé», explique Eric Thomas.

Pierre-Jacques Lefaivre, vice-président responsable du développement immobilier au Groupe Mach, observe lui aussi que «les décisions sont plus longues à prendre», même s'il y a «autant de deals qui se font», assure-t-il. Il justifie ce ralentissement par la morosité économique, les élections municipales, la commission Charbonneau et la bisbille dans les villes qui retardent les approbations et la délivrance de permis.

«Il n'y a pas de croissance des ventes, mais les coûts d'exploitation augmentent. Alors c'est sûr que les profits diminuent et qu'ils sont plus prudents. Dans la majorité des chaînes, il n'y a pas d'expansion. Il y a un moratoire», renchérit Danielle Lavoie.

Plus complexe

Pierre-Jacques Lefaivre note d'ailleurs que les petits détaillants font leurs études de marché de plus en plus sérieusement et que «la vague de l'ours qui mange l'ours est passée». En d'autres termes, les détaillants n'iront plus s'établir directement en face de leur concurrent direct sans trop réfléchir, juste pour lui faire mal.

Devant la prudence accrue des commerçants, Mach calcule ses risques. «Pour un Starbucks de 2000 pi2, on va construire quand même [si le bail n'est pas finalisé]. Mais pour un IGA, on va attendre qu'ils se commettent.»

L'expert du secteur croit aussi que les villes sont de moins en moins réceptives aux projets à usage commercial unique, ce qui freine bien des projets. «Un IGA tout seul ne sera pas très bien accueilli. Il faut du stationnement sous-terrain et des condos au-dessus...»

Ces exigences compliquent les choses, car elle force des partenariats plus ou moins naturels entre des constructeurs d'immeubles commerciaux et résidentiels. De plus, les banques seraient «plus froides» à l'idée de financer ces immeubles à usages mixtes «parce que nous n'avons pas d'historique dans ce genre de projet».

«Les développeurs espèrent que la période des Fêtes sera bonne...», conclut Danielle Lavoie.