Couche-Tard est entré en Europe par la grande porte. Un peu plus d'un an après l'acquisition des 2300 dépanneurs du géant norvégien Statoil - la plus importante de son histoire -, comment la chaîne québécoise s'adapte-t-elle à la réalité européenne ? La Presse s'est rendue à Oslo pour y voir de plus près.

Le bâtiment est planté au milieu des montagnes verdoyantes, en bordure d'une autoroute, à une heure d'Oslo. Avec son design épuré, son chef cuisinier sur place, son Wi-Fi gratuit et sa borne de rechargement pour les voitures électriques, la station-service de Minessund incarne en quelque sorte l'avenir des dépanneurs scandinaves.

Ce magasin est le plus sophistiqué jamais construit par Statoil Fuel & Retail (SFR), et de loin. «Il servira de laboratoire pour nous aider à décider quelles caractéristiques seront implantées dans tout le réseau», a déclaré Jacob Schram, président du groupe, à l'inauguration en janvier 2012.

La station-service futuriste constitue une vitrine exceptionnelle pour le groupe norvégien, ce qui n'a sans doute pas nui au moment de son rachat par Couche-Tard au printemps 2012 pour 2,8 milliards US. Avec cette transaction, le géant québécois a mis la main d'un seul coup sur 2300 dépanneurs, la plus importante acquisition de son histoire. Et posé le pied - voire les deux - bien fermement sur le continent européen.

Quatorze mois plus tard, l'intégration du réseau SFR avance rondement. «Nous sommes satisfaits des améliorations sur le plan des ventes, fait valoir à La Presse Raymond Paré, chef de la direction financière de Couche-Tard. Pour le reste, l'intégration selon notre modèle progresse bien.»

M. Paré a accepté de répondre à nos questions par courriel, après des demandes répétées. Les dirigeants du groupe lavallois - dont les revenus ont atteint 35 milliards l'an dernier - sont reconnus pour s'intéresser davantage à la gestion de l'entreprise qu'aux échanges avec les médias. L'homme était d'ailleurs en train de régler des dossiers en Europe lorsqu'il nous a fait parvenir ses brefs commentaires.

La recette Couche-Tard

Il faut dire que la bouchée européenne prise par l'entreprise est énorme, et qu'elle demandera encore une somme de travail considérable pour atteindre son plein potentiel. Les 2300 dépanneurs de SFR sont répartis dans huit pays du nord de l'Europe, dont les réalités sont aussi variées que les parfums de "sloche" offerts chez Couche-Tard.

Martin Landry, spécialiste du commerce de détail chez GMP Securities, croit dans les chances de succès de l'aventure. «C'est une acquisition stratégique. Ils ont acheté un leader dans la plupart des marchés dans lesquels ils font affaire, surtout en Scandinavie, avec une marque de commerce dotée d'une notoriété très très forte.»

Même son de cloche chez Vishal Shreedhar, analyste à la Financière Banque Nationale. «Bien que l'intégration des actifs peut poser des défis en raison des différentes lois, des préférences des consommateurs et de la concurrence, nous croyons que la direction de Couche-Tard sera capable de répondre aux attentes en raison de sa solide feuille de route à long terme.»

Pour rentabiliser son acquisition, le groupe implante à la vitesse grand V plusieurs des recettes qui ont fait son succès au Canada et aux États-Unis, où Couche-Tard exploite plus de 6000 dépanneurs. L'objectif: réaliser des économies annuelles (synergies) de 150 à 200 millions en Europe d'ici la fin de 2015.

«Il y a peut-être un accent un peu plus grand mis sur les achats impulsifs, comme les tablettes de chocolat, les chips, l'eau, les cannettes de boissons énergisantes», souligne Martin Landry.

Dans le dépanneur SFR d'Okern, un quartier d'Oslo en plein essor où les grues côtoient les chantiers routiers, cet "accent" est devenu plus visible au cours des derniers mois. Une affichette a par exemple été installée pour annoncer deux tablettes de chocolat offertes à 30 couronnes norvégiennes (environ 5$ CAN). La promotion, en apparence banale, est inédite ici en Norvège.

Couche-Tard a aussi réduit de beaucoup le prix des hot-dogs, maintenant offerts à 10 couronnes (environ 1,75$) dans ses dépanneurs SFR norvégiens. Une véritable aubaine dans un pays où le coût de la vie est astronomique. Et surtout, un important moteur pour attirer les consommateurs en magasin.

«Une des forces des gens de Couche-Tard, c'est qu'ils savent ce qui marche et ce qui ne marche pas», a souligné une source de SFR qui a requis l'anonymat.

Nouveautés et acquisitions en vue

En plus de ces efforts de marchandisage accrus, le groupe poursuit l'implantation d'un nouveau système informatique centralisé dans son réseau européen. Couche-Tard a aussi revu la stratégie d'approvisionnement pour bénéficier d'économies d'échelle, tout en restructurant certains services de SFR.

De nombreux autres changements devraient être mis de l'avant, selon les commentaires formulés par le grand patron de Couche-Tard pendant une téléconférence en juillet. «Alors que [l'année financière] 2013 a été une année d'analyse, d'apprentissage et de planification, 2014 devrait être une année d'accomplissements et de réalisations», a déclaré Alain Bouchard.

Parmi les nouveautés à venir, Couche-Tard rassemblera tous les employés du siège social de SFR dans un tout nouvel immeuble au centre d'Oslo, où le groupe sera locataire. L'entreprise reste en outre à l'affût de cibles d'acquisition en Europe - et elle le fait savoir à qui veut l'entendre.

Alain Bouchard dit contempler des transactions «des deux côtés de l'Atlantique: des grandes, des moyennes et des petites». Plusieurs grands groupes pétroliers européens cherchent à se départir de leur réseau de stations-service pour se concentrer sur l'exploration et la production, et Couche-Tard apparaît désormais comme un consolidateur potentiel.

L'entreprise pourrait se permettre une acquisition de 2 milliards de dollars sans problème, estime l'analyste Martin Landry. «L'Europe vit une période économique très difficile, donc le prix des actifs est probablement dévalué un peu et reflète le pessimisme et les difficultés économiques de la région. Selon moi, c'est le meilleur moment pour acheter en Europe.»

Vraisemblablement, le petit hibou de Couche-Tard n'a pas fini son envolée européenne.

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Couche-Tard en chiffres

35,5 milliards Chiffre d'affaires de l'exercice 2013

573 millions Bénéfice net de l'exercice 2013

3,32$ Bénéfice par action pour l'exercice financier 2013

+ 37% Variation sur un an

60 000 Nombre d'employés en Amérique du Nord

17 500 Nombre d'employés en Europe

2292 Nombre de magasins Statoil Fuel&Retail en Europe, répartis entre la Scandinavie, les pays baltes et la Russie.

Ailleurs dans le monde

6094 Dépanneurs en Amérique du Nord, principalement exploités sous les marques Circle K, Mac's et Couche-Tard.

4190 Magasins Circle K exploités sous licence dans 10 pays: Chine, Guam, Honduras, Hong Kong, Indonésie, Japon, Macao, Mexique, Viêtnam et Émirats arabes unis.

*Toutes les données datent du 28 avril 2013

Photo Bloomberg

Couche-Tard rassemblera tous les employés du siège social de Statoil Fuel and Retail dans un tout nouvel immeuble au centre d'Oslo (photo).