Le multiculturalisme de Montréal a encouragé American Apparel (APP) à y rapatrier son centre d'appel pour la clientèle européenne. Fini l'Allemagne, le service se trouve depuis quelques mois au 15e étage des Cours Mont-Royal, un immeuble du centre-ville qui abrite des commerces ainsi que deux condos appartenant à Dov Charney.

«C'est plus facile à Montréal de trouver des employés qui parlent toutes les langues d'Europe. À Los Angeles, nous avons un centre d'appel pour l'Asie, car il y a beaucoup d'Asiatiques là-bas», explique Dov Charney, tout en nous conduisant sur place.

En arrivant sur l'étage, il tombe sur un paquet de réglisses rouges, s'arrête, en prend une et nous en offre. Il s'installe dans le bureau de son directeur Dan Abenheim, qu'il connaît depuis l'adolescence. Avant de poursuivre la conversation, le dirigeant s'applique à nettoyer la table de verre, visiblement mécontent qu'elle soit sale. Son vieux chihuahua Headcase, 16 ans, avec qui il voyage «partout sauf en Europe», vient le rejoindre. Après avoir eu droit à une caresse, le petit animal se couche sur une chaise.

L'équipe multiculturelle d'American Apparel, qui commence à répondre au téléphone dès 6h à cause du décalage horaire, est encore dans les boîtes, en train de s'installer. Ils sont une centaine sur l'étage, ce qui inclut les responsables de la vente en gros et des magasins du Canada. Une quinzaine de personnes, responsables du marketing pour l'Europe, joindront bientôt les rangs.

Nouvel entrepôt dans Griffintown

Dov Charney raconte qu'il passe l'équivalent de deux mois par année à Montréal. À raison de trois semaines par voyage. «Quand j'arrive, les choses sont dans un état. Quand je repars, elles sont dans un autre état!», lance-t-il avant d'éclater de rire.

Le fondateur d'American Apparel confie que son entrepôt de 50 000 pi2 à proximité de l'hippodrome cessera d'être utilisé dans quelques jours. Il l'a remplacé par un plus petit local, de 15 000 pi2. «C'était trop grand sur Ferrier. On s'en va dans Griffintown, sur la rue Ottawa. C'est bien, parce qu'on peut y aller avec le bus numéro 107.»

Dès qu'il pense à quelque chose, il demande à son employé de faire une recherche sur le web pour trouver les images et les vidéos auxquelles il fait référence. Tantôt en train de marcher, tantôt assis, tantôt devant l'écran de l'ordinateur en train de regarder des images, il défile les mots et les idées en passant du français (qu'il maîtrise parfaitement) à l'anglais. Il semble connaître son entreprise par coeur: autant les données financières que les adresses des magasins.

Plus tard, en visitant le magasin des Cours Mont-Royal, Dov Charney vérifiera méticuleusement une dizaine de présentoirs pour s'assurer qu'il s'y trouve bel et bien un exemplaire de chaque taille et que ceux-ci sont dans le bon ordre. «Tu vois, x-small, small, medium, large, extra large. C'est parfait. Il ne manque rien.» Quand, pour la première fois, il n'y a pas de large, il exprime sa contrariété. Et continue son chemin vers la sortie en racontant qu'il va tenter d'augmenter un peu ses prix à mesure que ses modèles seront plus sophistiqués.

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«J'ai pensé au 11-Septembre»

L'effondrement de l'usine de vêtements qui a coûté la vie à plus de 1100 travailleurs au Bangladesh, le 24 avril, a immédiatement fait réagir Dov Charney. «J'ai pensé au 11-Septembre. J'étais honteux de l'industrie. C'était un désastre. C'était comme un holocauste. Mais j'étais fier, aussi, de savoir que ma compagnie fait les choses autrement, qu'on ne fait pas partie de cela. On pense différemment.

«Les entreprises, en Amérique, veulent faire le design et le marketing ici, mais pas la production. Alors elles ne connaissant pas le visage de leurs employés. Le problème, c'est qu'elles pensent trop aux coûts de production, qu'elles veulent toujours diminuer. Parfois, ça devient inhumain. Depuis 30 ans, tout coûte plus cher, sauf les vêtements.»

Dov Charney ne croit pas que le drame survenu au Bangladesh rendra ses vêtements made in USA plus attrayants auprès des consommateurs. À son avis, leur lieu de fabrication n'est même pas un argument de vente. «Le plus important pour le client, c'est le rapport qualité/prix. Pas le lieu de fabrication.»

L'entrepreneur - dont la garde-robe est exempte de vêtements fabriqués au Bangladesh, jure-t-il - estime qu'il est tout de même intéressant de connaître la provenance de ce qu'on achète puisque «ça donne une idée de la qualité». «Moi, je peux aller dans l'usine, je peux argumenter avec les employés, je peux faire améliorer un produit, je peux faire changer la production, je peux même la faire annuler!»

Que pense-t-il des géants H&M et Forever 21 qui vendent des tonnes de vêtements à bas prix et qui ont la faveur des jeunes? «Je suis plus riche qu'eux, car je change le monde. Ils participent à un système qui exploite les gens. La chose éthique à faire, c'est de payer un salaire juste. Je pense que le minimum dans mon industrie devrait être un salaire de 1$US de l'heure. Ils paient 0,25$. L'idéal serait 2$ selon moi, mais le minimum c'est 1$.»

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De retour dans le rouge

Après un maigre bénéfice net de 1,1 million US en 2009, l'entreprise a déclaré des pertes à ses trois exercices subséquents. Le début de l'année 2013 n'est pas beaucoup plus réjouissant : American Apparel a encore perdu de l'argent (46,5 millions), même si le BAIIA est en meilleure posture qu'à pareille date un an plus tôt. En Bourse, le titre [[|ticker sym='APP'|]] a bondi de 70% depuis le début de l'année (de 1,13$ à 1,99$ hier). Par contre, le titre est très loin de son sommet de 9,90$ atteint en septembre 2008.